vendredi 30 mars 2018

I cani del sole

" Des halos entourent le soleil, il faut donc regarder dans sa direction. Ce sont des cercles irisés comme l'arc en ciel, mais moins colorés. Parfois, on n'observe pas un cercle complet, mais seulement deux petits arcs irisés de part et d'autre du soleil. On les appelle "parhélies", ou, moins savamment, "faux soleils". Il convient, pour bien les voir, de cacher le soleil avec sa main pour ne pas être ébloui. Les Indiens d'Amérique disaient que ce sont "les chiens du soleil", l'accompagnant dans le ciel, l'un par devant, l'autre par derrière. On peut également voir des halos autour de la Lune, d'autant plus facilement que l'on ne risque pas d'être ébloui comme c'est le cas pour les halos solaires. Les halos ne sont pas dus à des gouttes d'eau mais à des cristaux de glace, qui, lorsqu'il fait très froid, constituent les nuages de la haute atmosphère, essentiellement les cirrus, ces nuages légers et effilochés qu'on appelle "cheveux d'ange". Les petits cristaux de glace se comportent comme les gouttes d'eau pour l'arc-en-ciel et, par des phénomènes de réfraction et de réflexion, conduisent à des effets de dispersion des couleurs qui provoquent des irisations.
Un dernier phénomène apparenté, non moins intéressant mais relativement facile à voir ... à condition de connaître son existence: les "gloires". Supposez que vous êtes au sommet d'une montagne, qu'une belle couche de nuage ou de brouillard se trouve en dessous de vous et que le soleil projette votre ombre sur cette couche. Alors pourra apparaître juste autour de l'ombre de votre tête une magnifique auréole lumineuse irisée. Cette auréole ressemble à un halo mais est très différente : elle n'entoure pas le soleil, mais au contraire votre ombre, et se trouve donc dans la direction opposée. Son explication est nettement plus compliquée, elle exige de faire appel aux théories qui décrivent les aspects ondulatoires de la lumière, et je ne vous en parlerai pas. Si ce phénomène splendide est appelé "gloire", c'est que c'est également ainsi que l'on désignait jadis, les auréoles des saints. Particularité remarquable : si vous êtes sur la montagne avec votre petite amie que vos deux ombres se projettent sur la couche de brume, alors chacun ne verra de gloire qu'autour de sa propre tête ! Si vous voulez voir les deux gloires, il faut les superposer, par exemple en vous embrassant". In Jean-Marc Levy-Leblond, Les couleurs du ciel, Les petites conférences, Bayard, Montrouge, 2018. 

jeudi 30 mars 2017

Passaggio degli Alpi

"Le lendemain, les barbares mettent moins de vivacité dans leurs attaques, et on parvient à réunir les troupes et à franchir les gorges avec une perte assez considérable, en chevaux toutefois plus qu'en hommes Dès lors, les montagnards ne se montrèrent plus qu'en petit nombre; c'étaient des brigands, plutôt que des ennemis, qui venaient fondre tantôt sur la tête, tantôt sur la queue de l'armée, selon que le terrain leur était favorable, ou qu'ils pouvaient surprendre ou les traînards ou ceux qui s'étaient trop avancés. Les éléphants dans les routes étroites, dans les pentes rapides, retardaient beaucoup la marche; mais leur voisinage était partout un rempart contre l'ennemi, qui n'osait approcher de trop près ces animaux inconnus. On fut neuf jours à atteindre le sommet des Alpes, à travers des chemins non frayés où l'on s'égarait souvent, soit par la perfidie des guides, soit par les conjectures de la défiance même, qui engageait au hasard les troupes dans des vallons sans issue. On s'arrêta deux jours sur ces hauteurs, pour donner aux soldats épuisés le repos nécessaire après tant de fatigues et de combats: là, plusieurs bêtes de somme, qui avaient glissé le long des rochers, regagnèrent le camp sur les traces de l'armée. Déjà des maux sans nombre avaient jeté les esprits dans l'accablement le plus profond; bientôt, surcroît de terreur!, on voit tomber une neige abondante; c'était l'époque du coucher de la constellation des Pléiades. On n'aperçut que monceaux de neige, lorsque, au point du jour, on se remit en marche; les Carthaginois avançaient à pas lents; l'abattement et le désespoir étaient peints sur tous les visages".
"Hannibal prend alors les devants, s'arrête à une sorte de promontoire qui offre de toutes parts une vue immense, fait faire halte à ses soldats, leur montre l'Italie, et, au pied des Alpes, les campagnes baignées par le Pô. "Vous escaladez, dit-il, en ce moment les remparts de l'Italie; que dis-je? les murs mêmes de Rome. Plus d'obstacles bientôt; tout s'aplanira devant vous: une bataille, deux tout au plus, et la capitale, le boulevard de l'Italie est dans vos mains, en votre puissance." L'armée poursuit sa marche. L'ennemi, il est vrai, ne venait plus l'inquiéter que par la surprise de quelques bagages, s'il en trouvait l'occasion. Au reste, la descente offrait bien plus d'obstacles que la montée, en ce que la pente des Alpes, qui, du côté de l'Italie, a moins d'étendue, est aussi plus rapide. En effet, presque tout le chemin était à pic, étroit et glissant: là, nul moyen d'éviter une chute; et, pour peu que le pied manquât, impossible de rester à l'endroit où l'on s'était abattu; en sorte qu'hommes et chevaux allaient rouler les uns sur les autres". Le texte de Tite Live [21,35] XXXV and  Le col clapier >>> ici

mercredi 25 janvier 2017

Scienza e arte

« L’art me conduit à retrouver l’épaisseur du monde que la science aplatit  » Ne s’agit-il pas là, tout simplement, d’une rencontre avec la philosophie ? S’il est vrai que, dans cet ouvrage, le style ne cède pas sur l’esprit tranché et railleur du scientifique, l’honnêteté et la clairvoyance sont au rendez-vous. Que manquerait-il ? Le ressenti, la palpitation du signifiant, le dépassement du raisonnement scientifique pour l’univers des concepts esthétiques. Mais il n’empêche : ce livre est une « sainte » colère, le témoignage précieux d’un scientifique grandissant au contact de l’art".





"La science n’est pas l’art, et force est de constater que l’union de ces deux univers ne peut exister qu’au mode de la négation. Une différence existentielle les sépare, et la définition que Lacan donne de chacun d’eux dans L’éthique de la psychanalyse apporte un nouvel éclairage : la science comble le trou du réel, alors que l’art organise l’espace autour de lui .
Ainsi l’expérience esthétique, comme en témoigne « à corps et à cris » l’auteur, se trouve être fondamentale et vitale, car elle seule nous permet de tenir debout au bord du trou, de soutenir un peu de ce réel qui insiste. Le pont des Arts que construit Jean-Marc Lévy-Leblond est une passerelle fragile posée au-dessus du vide, certes. Mais il rend possible le passage d’une rive à l’Autre".
Dorothée Marcinik (2011/2), La science n'est pas l'art, Brèves rencontres, n°27, Eres. and Le Musée Guggenheim, New York.

mardi 24 janvier 2017

Arte e scienza

"Toute nouvelle entreprise de recherche me replonge immédiatement dans cet état d’humiliante précarité mentale. À l’opposé de toutes les images d’Épinal, qui montrent la recherche scientifique comme un archétype de travail méthodique, conquête systématique et contrôlée de l’inconnu, c’est l’errance et la contingence qui y sont la règle. Précisément parce qu’il cherche ce qu’il ne connaît pas, le chercheur ne peut que passer le plus clair de son temps à explorer de fausses pistes, à suivre des intuitions erronées, à se tromper : la plupart des calculs théoriques sont incorrects, la plupart des manipulations expérimentales sont ratées – jusqu’au jour où…
Ainsi, le travail du chercheur professionnel ne ressemble-t-il en rien à celui du bon élève qu’il a sans doute été, et dont il a dû abandonner la trompeuse confiance en soi. Il lui a fallu dépouiller la peau du crack pour endosser celle du cancre : le chercheur, dans sa pratique effective, ressemble beaucoup plus au « mauvais » qu’au « bon » élève. Son seul avantage sur les laissés-pour-compte de la science scolaire est qu’il sait la nécessité et l’inéluctabilité de cette longue traversée de l’erreur, de cette confrontation avec les limites de sa propre intelligence. Pourquoi donc, à l’école, ne présentons-nous pas ainsi la science, telle qu’elle se fait ? Les élèves les plus en difficulté n’y trouveraient-ils pas quelque réconfort mental ?"
Jean-Marc Levy-Leblond (2013/3), Impasciences, Journal français de psychiatrie, n°18. and Michelangelo Merisi da Caravaggio, Les musiciens. 

mercredi 18 janvier 2017

Intermezzo

lundi 18 janvier 2016

Intimità


Bad Girl

Quels sont les facteurs improbables qui transforment une enfant née dans l’Ouest du Canada au milieu du xxe siècle en une romancière et essayiste bilingue et parisienne ? Connaissant les écueils et les illusions du discours sur soi, Nancy Huston tutoie tout au long de ce livre le fœtus qu’elle fut et qu’elle nomme “Dorrit”, afin de lui raconter sur le mode inédit d’une “autobiographie intra-utérine” le roman de sa vie.
Arrière-grand-père fou à lier, grand-père pasteur, tante missionnaire, grand-mère féministe, belle-mère allemande, père brillant mais dépressif, déménagements constants, piano omniprésent, mère dont les ambitions intellectuelles entrent en conflit avec son rôle familial ; ainsi la création littéraire devient-elle pour Dorrit la seule manière de survivre.
Citant ses mentors, Beckett, Barthes, Gary, Weil, Woolf, mais aussi Anaïs Nin ou Anne Truitt, Nancy Huston traque l’apparition, dans le cheminement de la petite Dorrit, des thèmes qui marqueront son œuvre. Ce livre est fondamental dans la trajectoire littéraire de la romancière. Au plus près du territoire de l’intime, il offre un nouvel éclairage sur son œuvre. Nancy Huston (2014), "Bad Girl", Actes Sud Edition. 

samedi 23 mai 2015

Imbroglio sordo

Alors le jeune homme se tut. Et Zarathoustra regarda l’arbre près duquel ils étaient debout et il parla ainsi :
" Cet arbre s’élève seul sur la montagne ; il a grandi bien au-dessus des hommes et des bêtes. Et s’il voulait parler, personne ne pourrait le comprendre : tant il a grandi. 
Dès lors il attend et il ne cesse d’attendre, – quoi donc ? Il habite trop près du siège des nuages : il attend peut-être le premier coup de foudre ? "
                                  
Quand Zarathoustra eut dit cela, le jeune homme s’écria avec des gestes véhéments : " Oui, Zarathoustra, tu dis la vérité. J’ai désiré ma chute en voulant atteindre les hauteurs, et tu es le coup de foudre que j’attendais ! Regarde-moi, que suis-je encore depuis que tu nous es apparu ? C’est la jalousie qui m’a tué ! " – Ainsi parlait le jeune homme et il pleurait amèrement. Zarathoustra, cependant, mit son bras autour de sa taille et l’emmena avec lui. Et lorsqu’ils eurent marché côte à côte pendant quelques minutes, Zarathoustra commença à parler ainsi :
" J’en ai le cœur déchiré. Mieux que ne le disent tes paroles, ton regard me dit tout le danger que tu cours. Tu n’es pas libre encore, tu cherches encore la liberté. Tes recherches t’ont rendu noctambule et trop lucide. Tu veux monter librement vers les hauteurs et ton âme a soif détoiles. Mais tes mauvais instincts, eux aussi, ont soif de la liberté." 
Friedrich Nietzsche (1883,1885), Ainsi parlait Zarathoustra: L'arbre sur la montagne. and Lac de Përastrêche, Boréon. 

mardi 10 mars 2015

Niente di più

Mais il y a quelque temps je suis retournée dans Saint Henri. C'est un trajet facile et court. On descend la rue Atwater; on arrive presque aussitôt à la populeuse rue Notre Dame. Et là, devant nous, c'est toujours le même village gris dans notre grande ville, le village de toutes les grandes villes du monde où dans la poussière, la fumée, l'espace exigu, le manque d'air et de verdure, vit encore en somme la majorité des êtres humains. Il y avait tout autant qu'il y a quelques années de poussière de charbon, de sonneries grêles, de tourbillons de fumée, bien que les trains passent un peu moins fréquemment dans Saint Henri, maintenant que certains empruntent la voie du tunnel. C'est au fond, à peu près la seule amélioration que j'ai pu noter. 
Maison-Nacre-opti
J'ai entendu causer les gens au coin des rues, dans les petites boutiques, aux abords de la gare, sur la place du marché. Et c'était incroyable, mais les ouvriers, les travailleurs du faubourg, tout comme les financiers et les chefs d'industrie, avaient à la bouche la même prédiction amère. Tous ils s'entretenaient du très probable retour du mauvais temps d'avant la guerre : dans un an ou deux, disaient les uns; dans quatre ou cinq ans, maintenaient les plus optimistes. Il n'y avait pas à proprement parler de chômage - le peuple travaillait encore et même de très longues heures; tout l'un ou tout l'autre, ainsi que me l'exprimait un ouvrier - mais ces deux mots terribles, chargés d'effroi, chargés de colère, empoisonnaient la réflexion de tout homme : la crise économique, le chômage. On était, ayant pourtant pour nous la paix et l'abondance, comme dépourvu de courage devant l'impérieuse nécessité des travaux à entreprendre, tellement il était acquis dans notre milieu que le travail pour tous et la prospérité sont les résultats, et peut-être pensons- nous, les bienfaits de la guerre ou de l'après-guerre. 
Gabrielle Roy (1978, 1982), Fragiles lumières de la terre, Retour à Saint Henri, Ed. A. Stanké, Montréal. and Maison à l'île d'Yeu, Vendée. 

jeudi 15 janvier 2015

Democrazia

"Les musulmans sont dans le monde les premières victimes du fanatisme, du fondamentalisme, de l'intolérance. L'islamisme radical qui frappe d'abord les musulmans s'est nourri de toutes les contradictions, de toutes les influences, de toutes les misères, de toutes les inégalités, de tous les conflits non réglés depuis trop longtemps. Face à la terreur, nous sommes tous unis. 
Nous devons aussi rappeler que l'islam est compatible avec la démocratie, que nous devons refuser les amalgames et les confusions. Et d'abord en France. Les Français de confession musulmane ont les mêmes droits, les mêmes devoirs, que tous les citoyens. Ils doivent être protégés ... La laïcité y concourt car elle respecte toutes les religions ... La France est un pays ami, mais la France est un pays qui a des règles, des principes, des valeurs, et parmi les valeurs il y en a une qui n'est pas négociable, qui ne le sera jamais, c'est la liberté, la démocratie. Je veux que ceux (les musulmans) qui vivent en France puissent se savoir, unis, protégés, respectés comme eux-mêmes doivent respecter la République". 
François Hollande, Institut du monde arabe, Discours du jeudi 15 janvier 2015, Paris. and Henri Matisse, La danse.

mardi 9 décembre 2014

Fiamma blue

"Aussi inattendu que cela puisse paraître aujourd'hui, je dois au Manitoba d'être née et d'avoir grandi dans un milieu de langue française, d'une exceptionnelle ferveur.sans doute était-ce la ferveur d'un frêle groupe fraternellement resserré pour faire front commun dans sa fragilité numérique et son idéal menacé. Peut-être, comme la flamme de la mèche donnant au maximum, cet enthousiasme ne pouvait-il indéfiniment se maintenir. Mais sa clarté brilla assez, en tout cas, pour enflammer certaines vies ...
Bird's Hill, c'est peut-être mon plus admirable souvenir du Manitoba; au bord de l'eau disparue, ces fossiles parmi les plus anciens; ces rêves de jeunesse, cette confiance inaltérable en l'horizon lointain. Vous savez combien il se joue de nous, cet horizon du Manitoba. Que de fois, enfant, je me suis mise en route pour l'atteindre ! On croit toujours que l'on est à la veille d'y arriver, et c'est pour s'apercevoir qu'il s'est déplacé légèrement, qu'il a de nouveau pris un peu de distance ... 
Avec l'âge, nous vient peu à peu du découragement et l'idée qu'il y a là une ruse suprême pour nous tirer en avant et que jamais nous n'atteindrons l'horizon parfait dans sa courbe."   Gabrielle Roy (1978, 1982 ) Fragiles lumières de la terre, Mon héritage du Manitoba, Coll. Québec 10/10, Ed. Stanké, Montréal. and  Le Cirque du Soleil, Mai 2014, Montréal. 

lundi 8 décembre 2014

Luce di terra

"Là où l'on retourne écouter le vent comme en son enfance, c'est la patrie. Ce l'est aussi assurément là où l'on a une sépulture à soigner. Maintenant c'est mon tour ayant choisi de vivre au Québec un peu à cause de l'amour que m'en a communiqué ma mère, de revenir au Manitoba pour soigner sa sépulture. Et aussi pour écouter le vent de mon enfance.
Mais bien avant le temps, pour ma mère, des sépultures, avant même le mariage et les enfants, au temps où pour elle l'amour, comme le bel horizon prometteur du Manitoba, lui proposait sans doute les plus séduisants mirages, un homme, parti lui aussi du Québec, immigré aux Etats Unis, s'y étant forgé à travers les emplois les plus divers une expérience vaste comme la vie, un self-made man dirait-on aujourd'hui, maintenant à la veille de rentrer au pays à la frontière du Manitoba, d'étape en étape, cheminait déjà à son insu depuis longtemps vers elle par les mystérieuses voies de la destinée humaine.
Ils se rencontrèrent sans doute à l'occasion d'une de ces veillées de compatriotes toute bruissante de chants, de souvenirs et de conversations roulant sur le Québec. Peut-être, dès cette première soirée mon père, qui était doué d'une belle voix émouvante, charma-t-il la jeune fille en interprétant l'une ou l'autre de ces naïves ballades que je l'ai moi-même beaucoup plus tard entendu chanter : "Il était un petit navire" et "Un canadien errant", douces chansons tristes qu'il rendait avec un accent de sincérité troublante, comme si elles étaient un aveu à peine voilé de son propre déracinement." Gabrielle Roy (1978, 1982) Fragiles lumières de la terre, Ecrits divers, Collection Québec 10/10, Ed. Stanké, Montréal. and Québec city, Canada.

samedi 18 octobre 2014

Finita o infinita

"Ce sont aussi "les dangers de l'analyse" qui menacent non pas certes le partenaire passif, mais le partenaire actif de la situation analytique; on ne devrait pas se dispenser de l'en avertir. De quelle manière, cela ne fait aucun doute. Chaque analyste devrait périodiquement, à peu près tous les cinq ans, se faire de nouveau l'objet de l'analyse sans avoir à rougir de cette démarche. 
                                
Cela signifierait donc que la propre analyse de tâche finie deviendrait infinie, et que ce n'est pas seulement le cas de l'analyse thérapeutique destinée aux malades. C'est ici le moment de dissiper un malentendu. Je n'ai pas l'intention de prétendre que l'analyse en général est un travail qui n'a pas de conclusion ... On ne se donnera pas comme but de poncer toutes les particularités humaines au profit d'une normalité schématique, ni d'exiger que le sujet "analysé à fond" ne ressente plus aucune passion, ni qu'il ne doive plus développer de conflits internes. L'analyse doit créer pour les fonctions du Moi les conditions psychologiques les plus favorables; c'est avec cela que sa tâche serait accomplie."   Sigmund Freud (1937), "L'analyse finie et l'analyse infinie", trad. 1975, Standard Edition. and Palazzo Farnese, Roma.
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jeudi 16 octobre 2014

Montecitorio

Lundi 2 septembre 1901, à 9h du soir, carte postale adressée à Martha Freud. 
"Arrivé à Rome après 2h, me suis changé à 3h après le bain et suis devenu romain. Il est indubitable que nous resterons. C'est incroyable que nous ne soyons pas venus ici il y a des années. Certes il a fait chaud, mais c'était tout à fait supportable, et peu après, il y a eu un vent frais. 
La journée de voyage a été nuageuse jusqu'à 2h. A l'hôtel Milano (8), nous avons  une belle chambre au troisième étage pour 8 L (4 L par personne), lumière électrique. Je ne crois pas trop au danger de la malaria. Bien des choses, ici, sont d'un agrément incomparable, on ne peut pas parler des merveilles du monde sur une carte postale. Rien trouvé à la poste. Affectueusement". Sigm
(8) L'hôtel se trouvait piazza di Montecitorio à quelques centaines de mètres du Panthéon et de piazza Colonna.  Sigmund Freud, "Notre coeur tend vers le sud", Correspondances de voyage, 1895-1923, Ed. Fayard, 2005. and piazza di Montecitorio e piazza Colonna, Roma 

dimanche 16 mars 2014

Sogno nel sogno

" Le travail de rêve se doit de soutenir ce déni de la réalité perceptive non représentable, la réalité de la castration rencontrée sous toutes ses variations ...
Après avoir reconnu la fonction de cette néo-production, Freud pourra écrire en 1938 que "Le rêve est une psychose". L'identité de perception, telle que décrite et formulée en 1900, s'avère être une tentative pour soutenir un déni de perception par le biais de la catégorie  psychique qu'est le perceptif. L'hallucinatoire devient du perceptif eu égard à cette mission de contrer les sensations endopsychiques liées à la régressivité pulsionnelle. Quand le perceptif est en difficulté, la présentification prend la forme du redoublement, de la multiplication, du médusage. Cette figuration sera reconnue par Freud après 1920 comme la solution anti-traumatique par excellence. Déjà avec les rêves de la névrose traumatique, Freud avait perçu le rôle de la répétition, et surtout de la compulsion. Mais en 1922, avec "La Tête de Méduse", il perçoit en la multiplication de la représentation d'un objet une forme de la présentation de la compulsion. Après sa description d'une compulsion à l'association (1895), et sa remarque de 1919 : "La répétition temporelle d'un acte devient régulièrement dans le rêve la compulsion de représentation",. En 1922 il relie ces remarques sur la compulsion à la différence des sexes. La significativité de la réduplication en abîme agie dans les rêves- dormir dans un rêve et rêver dans un rêve - se trouve ainsi banalisée".  B Chervet (2006), Le rêve dans le rêve, in Regards sur le rêve, Libres cahiers pour la psychanalyse, n°14, ed. In Press.

mardi 17 décembre 2013

Maschera

"L'inconscient ne peut concevoir l'idée de notre propre disparition et "la croyance à la mort ne trouve donc aucun point d'appui dans nos instincts." Et si l'annihilation n'est pas inconnue de l'inconscient, elle ne concerne que l'ennemi ou l'étranger qui, même disparu, peut toujours revenir pour se venger. Quant aux êtres chers, s'il leur interdit de disparaître puisqu'ils sont une part de nous-mêmes, ils n'en méritent pas moins d'être anéantis à leur moindre manquement. Telle serait la vérité cachée qu'il nous faudrait apprendre à reconnaître. Mais que redoute -t-il alors celui qui, infligeant la mort d'un coeur léger, ne croit pas pour lui-même à sa réalité tout en en ayant la crainte obsédante de mourir ? 
Il ne le sait pas, car si naturelle qu'elle paraisse, cette peur de mourir n'est qu'un masque. Au regard de l'inconscient, tout comme pour le primitif, la mort redoutée en effet n'est jamais naturelle, elle est toujours le fait d'un autre, vivant ou invisible, venu vous retirer quelque chose, vous priver de la vie. La mort ne bénéficie pas d'un statut d'exception; image de l'amputation ou de la perte, elle doit être rangée sur le même plan que les autres figures de l'anéantissement, pour signifier la castration. La peur des départs en voyage et la peur de mourir, que l'adage rapproche, voilent et reflètent un même danger. 
Freud était bien placé pour le savoir ( lui qui avait la phobie des trains ). En 1925, il écrit encore :"... Dans l'inconscient il n'y a rien qui puisse donner un contenu à notre concept de destruction ... je m'en tiens fermement à l'idée que l'angoisse de mort doit être conçue comme un analogon de l'angoisse de castration. "Non qu'il n'y ait pas d'anéantissement, mais il n'existe que sous la forme d'un désir d'élliminer celui qui brandit la menace de castration : le père. Les désirs de meurtre succombent apparemment au refoulement, la culpabilité se perpétue et nourrit la peur de mourir. Le cercle se referme :"... il ne se cache aucun secret plus profond, aucune signification derrière l'angoisse de castration, elle même".  Au niveau de l'interprétation qui est celui de la psychanalyse, la mort, en tant que telle, n'a donc pas de place, elle est ravalée au rang de masque et les questions sérieuse concernent seulement ce qu'elle dissimule. Avec la mort de la mort, une conquête décisive, réellement révolutionnaire, a été accomplie dans la recherche de la vérité." 
M. De M'Uzan (1977), Freud et la mort, in "De l'art à la mort", Paris, Gallimard. and Palazzo a Venezzia. 

mercredi 6 novembre 2013

Stanchezza

"J’ai trop froid.
Je suis si fatigué, las de cette solitude.
Ô Vent, va chercher ma Mère.
Emmène-moi dans la Nuit vers la maison que je n’ai pas connue …
Rends moi, ô Silence, ma nourrice, mon berceau et cette berceuse qui si doucement m’endormait". Fernando Pessoa ( 1888-1935 )Le Livre de l’Intranquillité, Ed Bourgois, Paris.


mercredi 30 octobre 2013

Aspettando Godot


"Comme si j'avais tout simplement oublié d'attendre, attendre de la seule manière qui ait un sens. Aujourd'hui, avec le recul, j'ai tout loisir de repenser à cela. Et je commence à comprendre que mon impatience me fit succomber justement à ce que j'avais toujours soumis à une analyse critique.
Je succombai à cette forme d'impatience, ô combien destructrice, de la civilisation technocratique moderne, imbue de sa rationalité, persuadée à tort que le monde n'est qu'une grille de mots croisés, où il n'y aurait qu'une seule solution correcte — soi-disant objective — au problème ; une solution dont je suis seul à décider de l'échéance. Sans m'en rendre compte, je succombais, de facto, à la certitude perverse d'être le maître absolu de la réalité, maître qui aurait pour seule vocation de parfaire cette réalité selon une formule toute faite. Et comme il revenait à moi seul d'en choisir le moment, il n'y avait aucune raison de ne pas le faire tout de suite. Bref, je pensais que le temps m'appartenait. C'était une grande erreur... Il ne faut pas attendre Godot. Godot ne viendra pas car il n'existe pas. Il est d'ailleurs impossible d'inventer Godot. L'exemple type d'un Godot imaginaire, celui qui finit par arriver, donc un faux, le Godot qui prétendait nous sauver mais qui n'a fait que détruire et décimer, ce fut le communisme." Discours de Vaclav Havel lors de son installation comme membre associé étranger à l'Académie des Sciences Morales et Politiques, samedi 27 octobre 1992. and Vallée de la Haute Tinée,  le Gué de Vens.

mardi 29 octobre 2013

Abbraccio

"Au printemps, Tipasa est habité par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes, la mer cuirassée d'argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres. A certaines heures, la campagne est noire de soleil. Les yeux tentent vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumière et de couleurs qui tremblent au bord des cils. 
Ici même, je sais que jamais je ne m'approcherai assez du monde. Il me faut être nu et puis plonger dans la mer, encore tout parfumé de essences de la terre, laver celles-ci dans celle-là, et nouer sur ma peau l'étreinte pour laquelle soupirent lèvres à lèvres depuis si longtemps la terre et la mer. Entré dans l'eau, c'est le saisissement, la montée d'une glu froide et opaque, puis le plongeon dans le bourdonnement des oreilles, le nez coulant et la bouche amère - la nage, les bras vernis d'eau sortis de la mer pour se dorer dans le soleil et rabattus dans une torsion de tous les muscles; la course de l'eau sur mon corps, cette possession tumultueuse de l'onde par mes jambes - et l'absence d'horizon. Sur le rivage, c'est la chute sur le sable, abandonné au monde, rentré dans ma pesanteur de chair et d'os, abruti de soleil, avec, de loin en loin, un regard pour mes bras où les flaques de peau sèche découvrent, avec le glissement de l'eau, le duvet blond et la poussière de sel ... Je comprends ici ce qu'on appelle gloire : le droit d'aimer sans mesure. Il n'y a qu'un seul amour dans ce monde. Étreindre un corps de femme, c'est aussi retenir contre soi cette joie étrange qui descend du ciel vers la mer...  Albert Camus (1939), Noces à Tipasa, Folio, p. 11-15-16.

lundi 28 octobre 2013

Lontano


Loin, aussi loin que tu sois
Et plus loin si je dois,
J'irai vers ta lumière


Loin, aussi loin que je peux
Et plus loin si tu veux
Par delà les frontières

Je n'ai pas choisi
C'est ni le besoin, ni l'envie
J'ai cette force au fond de moi
Qui me porte vers toi

 Loin, plus loin que l'au delà
Où l'horizon se noie
Dans le ciel et la terre.

       Loin, à des milles et des milles 
                                                               Où tout est immobile
                                                               J'offrirai mes prières

                                                          Loin, au bout de l'espérance
                                                             Trouver la délivrance
                                                                Et du feu et du fer

                                                          Loin, je suis né pour servir
                                                               Pour servir et mourir
                                                             Pour souffrir et me taire

                                                          Loin, loin jusqu'au pied du ciel
                                                              Aux ténèbres éternelles 
                                                    
                                                                J'irai vers ta lumière
                                            Michel Sardou, Paroles de chanson, "Loin". 

dimanche 20 octobre 2013

Rivolta

"Le fameux discours de Saint-Just ... Si un contrat naturel ou civil, pouvait encore lier le roi et son peuple, il y aurait obligation mutuelle; la volonté du peuple ne pourrait s'ériger en juge absolu pour prononcer le jugement absolu. Il s'agit donc de démontrer qu'aucun rapport ne lie le peuple et le roi. Pour prouver que le peuple est en lui-même la vérité éternelle, il faut montrer que la royauté est en elle même crime éternel. Saint-Just pose donc en axiome que tout roi est rebelle ou usurpateur. Il est rebelle contre le peuple dont il usurpe la souveraineté absolue. La monarchie n'est point un roi, "elle est le crime". Non pas un crime mais le crime, dit Saint-Just, c'est à dire la profanation absolue. C'est le sens précis et extrême en même temps, du mot de Saint-Just dont on a trop étendu la signification :"Nul ne peut régner innocemment".   
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Tout roi est coupable et par le fait même qu'un homme se veut roi, le voilà voué à la mort. Saint-Just dit exactement la même chose lorsqu'il démontre ensuite que la souveraineté du peuple est "chose sacrée".  Les citoyens sont entre eux inviolables et sacrés et ne peuvent se contraindre que par la loi, expression de leur volonté commune ... Quand tous pardonneraient la volonté générale ne le peut pas. Le peuple même ne peut effacer le crime de la tyrannie. La victime en droit, ne peut-elle retirer sa plainte ... Le crime du roi est en même temps péché contre l'ordre suprême. Un crime se commet puis se pardonne, se punit ou s'oublie. Mais le crime de royauté est permanent, il est lié à la personne du roi, à son existence. Le Christ lui même, s'il peut pardonner aux coupables, ne peut absoudre les faux dieux. Ils doivent disparaître ou vaincre. Le peuple, s'il pardonne aujourd'hui, retrouvera demain le crime intact, même si le criminel dort dans la paix des prisons. Il n'y a donc qu'une seule issue : Venger le meurtre du peuple par la mort du roi". 
Albert Camus (1951), L'homme révolté, Gallimard. and Gustav-Adolf Mossa (1844-1926),   Pierrot s'en va, in Carnaval of Nice.


mercredi 25 septembre 2013

Vivo amore


   Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J'ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ai grands ennuis entremêlés de joie.
Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure ;
Mon bien s'en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.
Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.
Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.
L.Labé (XVI°), Sonnets VIII and H.Matisse, Les vagues, Musée Matisse.

mardi 10 septembre 2013

Tonight as



                                                       "tonight as I
                                                       hull kidney beans
                                                       the stone
                                                       engraved with her name
                                                       is growing cold
                                                       lest we stray
                                                       the Milky Way
                                                       just happens
                                                       to slip between
                                                       our entwined fingers
                                                       "even rainy days
                                                       at the beach
                                                       aren't bad,"
                                                       I whisper in the ear
                                                       of a jet-black labrador
                                                       for men
                                                       child-birth, child-raising
                                                       must be matters
                                                       viewed vaguely
                                                       through green mists
                                                       tranquilly ashes
                                                       continue to fall
                                                       on this ruined village
                                                       where like a scream
                                                       the silence shines
                                                       this stumbling
                                                       with just the toes
                                                       of my right toes
                                                       might come from bad feeling
                                                       between it and the left  ... as if
     
                                                        falling down
                                                        into the galaxy,
                                                        I would fall
                                                        into your heart
                                                        
sometimes I wish for
                                                        shoulders to lean against—
                                                        there's a bitter wind
                                                        like the delivery of letters
                                                        after my death"
                                 Mariko Kitakubo, Gallery. and Il Pincio, Roma.