dimanche 14 novembre 2010

Isabel

"Sa vision d'Isabel, à distance, plongée dans les ténèbres, au coeur noir du ciel, exigeait l'éloignement, l'installation sur un piedestal et la nudité.La présence de l'éphémère captive Alberto : c'est lui qu'il veut attraper pour le faire durer, le reconnaître. "Nous sommes les invités de la vie", la grande formule d'Heidegger, Alberto la répète souvent. Le vu, chez lui, a pris la place du conçu. Robert Bresson, le cinéaste consacré à la mise en scène du désir, parlait du pouvoir "éjaculateur de l'oeil". Inacessible amour ... Entre le proche et le lointain se joue toute la sexualité.
L'austérité de la souche Giacometti, la rigidité calviniste pèsent sur la volupté charnelle. Rilke écrivait à Emile Verhaeren:"Pourquoi nous as-t-on rendu notre sexe apatride au lieu d'y transférer la fête de nos pouvoirs intimes ?" Comment oublier que Rilke, lui aussi, fit halte en Engadine ? L'instant de grâce dans l'amour, c'est Diego qui l'a, pas Alberto. Jouir lui est difficile, il ne peut pas "finir" et s'en plaint. Les putains le ravissent car elles ne lui en demandent pas tant. Toutes ses figurines sont conçues comme des nus. Ses scultures restent minuscules, à l'exception d'une seule, dans l'atelier de son père, qu'il occupe l'été 1943 à Maloja: Le chariot. La femme, nue, se tiend les bras le long du corps, pieds joints, sur le piedestal massif. "
Claude Delay (2007), Giacometti Alberto et Diego, L'histoire cachée, Fayard, Paris. and Alberto Giacometti, Scultures, Exposition de la Fondation Maeght, Septembre 2010.