jeudi 16 décembre 2010

Stella

Una stella ti riga la fronte


inscrivendo nervosa


cifre che nessuno legge.Gli analfabeti dei sogni


ti spintonano interrogano


su cio di cui non sanno


nemmeno dire scherzando.


Ridi ma hai paura: manca


loro l'inchiestro del sangue


al ritmo sillabico.


E piangi per piangere.


Non resta altro che peccare


di memoria in memoria


contro le mura del cielo.


Allessandro Contadini (2008), Ogni lettera è metà nella luce, Ed. Il labirinto, 10 giugno. and Luce di Natale in Europa, 2010.

dimanche 14 novembre 2010

Isabel

"Sa vision d'Isabel, à distance, plongée dans les ténèbres, au coeur noir du ciel, exigeait l'éloignement, l'installation sur un piedestal et la nudité.La présence de l'éphémère captive Alberto : c'est lui qu'il veut attraper pour le faire durer, le reconnaître. "Nous sommes les invités de la vie", la grande formule d'Heidegger, Alberto la répète souvent. Le vu, chez lui, a pris la place du conçu. Robert Bresson, le cinéaste consacré à la mise en scène du désir, parlait du pouvoir "éjaculateur de l'oeil". Inacessible amour ... Entre le proche et le lointain se joue toute la sexualité.
L'austérité de la souche Giacometti, la rigidité calviniste pèsent sur la volupté charnelle. Rilke écrivait à Emile Verhaeren:"Pourquoi nous as-t-on rendu notre sexe apatride au lieu d'y transférer la fête de nos pouvoirs intimes ?" Comment oublier que Rilke, lui aussi, fit halte en Engadine ? L'instant de grâce dans l'amour, c'est Diego qui l'a, pas Alberto. Jouir lui est difficile, il ne peut pas "finir" et s'en plaint. Les putains le ravissent car elles ne lui en demandent pas tant. Toutes ses figurines sont conçues comme des nus. Ses scultures restent minuscules, à l'exception d'une seule, dans l'atelier de son père, qu'il occupe l'été 1943 à Maloja: Le chariot. La femme, nue, se tiend les bras le long du corps, pieds joints, sur le piedestal massif. "
Claude Delay (2007), Giacometti Alberto et Diego, L'histoire cachée, Fayard, Paris. and Alberto Giacometti, Scultures, Exposition de la Fondation Maeght, Septembre 2010.

dimanche 31 octobre 2010

Tombstone

"Nous sommes entrés dans le tombeau. Nous avons poussé la porte de la grille qui l'entoure et sommes entrés. L'intérieur est une pièce sans toit aux murs crénelés, carrelés de vert amande. Le haut des murs est badigeonné à la chaux.
Dans le tombeau, nous avons ressenti tout de suite une émotion. Ici dans l'étroit périmètre des murs, il y a huit pierres debout sur le sol de terre battue, et la forme de huit corps dessinés par des murets de pierres plates fichées dans le sable, comme des sarcophages ouverts. La tombe de Ma et Aïnine à Tiznit ressemble à cette tombe, mais comme un objet moderne peut ressembler à un objet très ancien ...

Il y a un air de recueillement, de gravité, qui vous enveloppe et vous donne froid. Comme à Tiznit, nous sommes dans un lieu chargé d'une force mystérieuse, un lieu de silence, et pourtant chargé de vie, où l'on perçoit un autre langage. Ce sont les pierres.

Les stèles sombres d'un brun foncé tacheté de noir, aiguës, aux bords tranchants, sont enfoncées dans la terre, un peu de biais comme si le vent avait soufflé sur elles pendant des siècles, ou comme si les mouvements de la Terre les avaient serrées dans leur étau.

Ce sont elles qui parlent ici dans l'enceinte du tombeau. Elles règnent. " Jemia et J.M.G. Le Clezio, "Gens des nuages", Ed. Stock, 1997. Ed. Folio Gallimard, Paris. and Cimetière de Gairaut, Nice.

mardi 26 octobre 2010

Sandy

"Je ne suis ni de l'eau ni de l'ouest,


ni de la mer ni de la terre,


je ne suis ni matériel ni éthéré,


ni composé d'aliments


Je n'existe pas


je ne suis une part de ce monde ni d'un autre,


je ne descend ni d'Adam ni d'Eve,


ni d'aucune origine.


Ma place n'a pas de trace, une trace de ce qui n'a pas de trace


ni corps ni âme.


J'appartiens au bien-aimé, j'ai vu les deux mondes réunis en un seul,


le premier, le dernier, celui du dehors celui du dedans,


simples comme le soufle d'un homme qui respire.


Djalâl ad-Dîn Rûmî (Balkh 1207-Konya 1273), Mathnawi, Livre premier.


and Maurice Denis (1870-1943), Les baigneuses.

vendredi 22 octobre 2010

Another world

"Lorsque l'idée d'écrire ensemble un livre s'est matérialisé, il nous est apparu que ce ne pouvait être que ce livre-ci : le compte rendu d'un retour aux origines, vers la vallée de la Saguia el Hamra, la Rivière Rouge, d'où la famille de Jemia est venue.

Jemia connaît depuis toujours son identité. Sa mère faisait à la fois référence à son ethnie saharienne et à sa couleur en lui disant quelle était une Hamraniya, une Peau Rouge en quelque sorte.

Il n'est pas facile de retourner vers un lieu d'origine, particulièrement quand ce lieu est un territoire lointain, entouré par le désert, isolé par des années de guerre, et qu'on ne sait rien sur le sort de ceux qui sont restés, La Saguia et Hamra est une vallée asséchée à l'extrème sud du Maroc, au delà du Draa, au coeur d'un territoire qui a longtemps appartenu à l'Espagne sous le nom de Rio de Oro. Pour y parvenir, il faut franchir des milliers de kilomères, traverser l'Atlas et l'Anti-Atlas, le plateau de la Gadda, jusqu'à la ville sainte de Smara.
Mais la difficulté venait moins de la distance et des risques (nous avions été prévenus que la région, quoique pacifiée, restait dangereuse à cause des mines) que la différence qui séparait Jemia, descendante de la lignée des Aroussiyine, des membres de sa famille restée au désert.

C'est cette distance-là qui était sans doute la plus difficile à franchir. Car c'est une chose de voyager et d'aller au devant de nouveaux horizons, et une tout autre chose que de rencontrer son passé, comme une image inconnue de soi-même". Jemia et J.M.G. Le Clézio, "Gens des nuages ", Stock, 1997. et Folio Gallimard, Paris. and Jean François Millet (1858), "L'Angélus ", Musée d'Orsay, Paris.

mardi 12 octobre 2010

Hiding room

"J'ai regardé les feuilles qu'il tenait fermement entre ses mains. Le grand père avait porté ses doigts à ses tempes comme s'il essayait de reprendre le fil du raisonnement.

- Si toutes les choses qui se trouvent sur l'île disparaissent, que va-t-il se passer ? ai-je murmuré.

Lui et le grand-père sont restés un moment silencieux. J'eus l'impression d'avoir posé une question inopportune. Ils avaient l'air gêné de ce que j'avais murmuré par inadvertance alors qu'ils gardaient le silence, ces mots qui risquaient dès lors qu'ils avaient été prononcés de se réaliser, ce que tout le monde craignait.

- Toute l'île aura beau disparaître, cette chambre secrète restera, vous savez, dit-il après un long silence.

Sans arrière pensée, sans forcer, le ton de sa voix débordait de tendresse. On aurait dit qu'il lisait une inscription gravée sur la pierre d'une stèle.

- Tous les souvenirs ne sont-ils pas conservables dans cette pièce ? L'émeraude, la carte, la photo, l'harmonica, le roman, tout. Ici c'est le marais du fond du coeur. C'est le dernier endroit où échouent les souvenirs." Yoko Ogawa (1994), "Cristallisation secrète", Kodansha Tokyo. trad. fr. Actes Sud, 2009. and Il Cafè Greco, Roma.

vendredi 8 octobre 2010

Secret crystallization

"J'ai baissé la tête, glissé mes doigts à travers mes cheveux. Il s'est penché pour me regarder par en dessous, a posé ses mains sur mes genoux.

- Non ça va aller. Vous croyez sans doute qu'à chaque disparition le souvenir s'efface, mais en réalité ce n'est pas cela. Il est seulement en train de flotter au fond d'une eau où la lumière n'arrive pas. C'est pourquoi il suffit d'aller plonger la main au fond pour arriver peut-être à toucher quelque chose. Que l'on ramène à la lumière. C'est insupportable pour moi de regarder sans rien dire votre coeur s'épuiser. Il a pris mes mains, a réchauffé chacun de mes doigts.

- En continuant à écrire des romans, on peut protéger son coeur ?

- Bien sûr que oui.

Il a hoché la tête.

Son souffle a atteind mes doigts." Yoko Ogawa (1984), "Cristallisation secrète", Ed. Kodanscha Tokyo. trad. fr. Actes Sud, 2009. and The Mediterranée.

lundi 4 octobre 2010

Crystals

"- On peut se souvenir d'une chose merveilleuse, si on la laisse ainsi à l'abri des regards, elle finira par disparaître. Soi-même on est incapable de saisir la vraie nature du souvenir. Il ne reste aucune preuve. Mais est-ce vraiment souhaitable, comme vous le dites de forcer les choses disparues à réapparaître ?
- Oui, a répondu R dans un soupir. Les souvenirs sont terrifiants parce qu'ils sont invisibles pour les yeux. Ils essuient les attaques répétées des disparitions, et même quand c'est trop tard, la personne concernée ne se rend pas compte de leur importance. Regardez ceci.
Il avait pris le paquet de feuilles manuscrites assemblées sur son bureau.
- Elles existent ici sans aucun doute. Un caractère existe dans chaque case. Et c'est vous qui les avez écrits. Votre coeur invisible a fabriqué ce récit visible pour les yeux. Les romans ont peut-être été brulés mais votre coeur n'a pas disparu. Puisque vous êtes là assise à coté de moi. De la même manière que vous m'avez secouru je veux vous secourir à mon tour."
Yoko Ogawa (1994), "Cristallisation secrète", Kodensha Tokyo, trad. fr. Actes Sud, 2009. and The Mekong.

jeudi 16 septembre 2010

Exhibition

"Il avança dans la Rathausstrasse et arriva devant sa maison. Sa maison, sa belle maison, n'existait plus, elle avait été détruite par un obus. Mais dans le petit jardin, qui survivait intact, il y avait son divan. Et sur le divan était étendu un rustaud avec des sabots et la chemise hors du pantalon, qui ronflait.

Le docteur Freud s'approcha de lui et le réveilla. Qu'est-ce que vous faites ici ?, lui demanda-t-il. Le rustaud le fixa avec des yeux écarquillés. Je cherche le docteur Freud, dit-il. Le docteur Freud c'est moi, dit le docteur Freud.
Ne me faites pas rigoler, Madame, dit le rustaud.

Eh bien, dit le docteur Freud, je vais vous confier quelque chose, aujourd'hui j'ai décidé de prendre les apparences d'une de mes patientes, et c'est pour cela que je suis habillé ainsi, je suis Dora. "Dora" dit le rustaud, mais moi je t'aime. Et disant cela il l'embrassa. Le docteur Freud éprouva un grand désarroi et se laissa tomber sur le divan. A cet instant il se réveilla. C'était sa dernière nuit, mais il ne le savait pas." Antonio Tabucchi (1992), Sogni di sogni, "Rêve du docteur Sigmund Freud", trad. fr., Gallimard, 2007. and Dr Jean-Martin Charcot (1825-1893) with her patient Blanche.

samedi 11 septembre 2010

The end of dream

"C'est une longue histoire, dit-il, mais il est inutile que je vous l'explique en long et en large, vous êtes intelligent et vous comprendrez même si je saute des passages. Sachez seulement une chose, c'est que moi je suis vous. Expliquez-vous mieux, dit Pessoa.
Je suis la partie la plus profonde de vous, dit Caeiro, votre part obscure. C'est pour cela que je suis votre maître. Un clocher dans le village voisin sonna l'heure.
Et moi qu'est-ce que je dois faire ?, demanda Pessoa.
Vous vous devez suivre ma voix, dit Caeiro, vous m'écouterez dans la veille et dans le sommeil, parfois je vous dérangerai, d'autres fois vous ne voudrez pas m'entendre. Mais vous devrez m'écouter. Vous devrez avoir le courage d'écouter cette voix, si vous voulez être un grand poète.
Je le ferai, dit Pessoa, je le promets.
Il se leva et prit congé. Le fiacre l'attendait devant la porte. A présent, il était de nouveau adulte, et ses moustaches avaient repoussé. Où dois-je vous conduire ?, demanda le cocher. Conduisez-moi vers la fin du rêve, dit Pessoa, c'est ajourdhui le jour triomphal de ma vie. C'était le 29 mars, et un tiède soleil filtrait à travers la fenêtre de Pessoa."
Antonio Tabucchi (1992), Sogni di sogni, "Rêve de Fernando Pessoa", trad. fr. Gallimard, 2007. and Alberto Giacometti, "Caroline", Fondation Maeght, Exposition de Septembre 2010.

vendredi 16 juillet 2010

White light

"C'était la lumière qui était belle, la lumière, et les pierres. Comme si elle n'avait jamais connu cela avant, comme s'il n'y avait eu que de l'ombre. La lumière, c'était le nom de la ville qu'elle entendait depuis qu'elle était toute petite, le nom que son père disait le soir, pour qu'elle s'endorme avec. Le nom était devant elle, devant Elisabeth, quand elles marchaient sur le chemin de cailloux, à travers la forêt, pour aller en Italie ...



Le bleu du ciel donnait le vertige. Les rochers brûlaient d'une flamme blanche. La lumièe était si violente que les larmes coulaient de ses yeux. Elle s'asseyait par terre, la tête appuyée sur ses genoux, le col de son manteau relevé jusqu'aux oreilles. C'était là que Jacques Berger l'avait retrouvée, un matin, et après cela, il l'avait accompagnée chaque jour. Peut-être qu'il avait suivi ses traces, ou bien il l'avait épiée de loin, quand elle courait à travers les rues jusqu'à la montagne. Il l'avait appellée par son nom, en criant fort, et elle s'était cachée derrière un buisson. Ensuite quand il était passé, elle était redescendue, jusqu'à un vieux mur. C'est là qu'il l'avait rattrappée. Ils avaient marché au milieu des pins, il la tenait par la main. Quand il l'avait embrassée, elle s'était laissée faire, tournant la tête de côté pour fuir son regard. Jacques parlait des dangers qui étaient partout à cause de la guerre." Jean Marie Gustave Le Clezio (1992), "Etoile errante", Gallimard, Paris. and Sur le chemin de la Liberté, in Le Mercantour, Alpes maritimes.

mardi 13 juillet 2010

Go away

"Maintenant, sûrement, rien de tout cela ne pourrait revenir, car peut-on retrouver ce qu'on a laissé derrière soi en partant ? "Est-ce qu'on retournera ici avec papa, est-ce qu'on s'en va vraiment pour toujours ?" Esther n'avait pas demandé cela, quand après s'être habillée à la hâte, elle avait pris la valise et était sortie de la maison en montant les six marches étroites qui conduisaient jusqu'à la rue. Elles marchaient ensemble dans la rue, vers la place, et Esther n'avait pas osé posé la question. Mais sa mère avait compris; elle avait fait seulement une drôle de grimace, en haussant les épaules, et Esther l'avait vue un peu plus loin qui essuyait ses yeux, son nez, parce qu'elle pleurait. Alors elle s'était mordu la lèvre de toutes ses forces, jusqu'au sang, comme quand elle voulait effacer quelque chose de mal qu'elle avait fait.
Elle n'avait plus regardé personne pour ne pas avoir à lire le malheur dans les yeux, pour qu'on ne sache pas qu'elle y pensait elle aussi. Sur la route de pierres qui montait à travers la forêt, les gens avaient pris leurs distances. Les plus jeunes, les hommes, les jeunes garçons, étaient loin devant, on n'entendait même plus leurs voix quand ils s'interpellaient. Derrière eux s'étirait la longue procession. Bien qu'elles ne marchaient pas vite à cause du poids des valises qui leur brûlait les mains, Esther et sa mère dépassaient d'autres femmes, les vieilles qui trébuchaient sur des cailloux, les femmes qui portaient des bébés dans leurs bras, les vieux Juifs vêtus de leurs caftans trop lourds, appuyés sur des cannes .... Au fur et à mesure qu'elles marchaient, les silouhettes de femmes assises au bord du chemin, devenaient de plus en plus rares. Puis il y eut un moment où Esther et sa mère marchaient complétement seules, sans plus rien entendre que le bruit de leurs propres pas et le fracas doux du ruisseau en contrebas." Le soleil était tout près de la ligne des montagnes, derrière elles. Le ciel était devenu pâle, presque gris et devant elles les nuages lourds étaient massés. Comme elle avait cherché cela depuis un bon moment." Jean Marie Gustave Le Clezio (1992), "Etoile errante", Gallimard, Paris. and Caravaggio (1571-1610), "Taking of Christ".

samedi 10 juillet 2010

Hugely

"Le bruit de l'eau qui coulait emplissait l'étroite vallée, jusqu'au ciel. Il n'y avait personne d'autres qu'eux, ici, il étaient comme seuls au monde. Pourla première fois de sa vie, Tristan ressentait la liberté. Cela faisait vibrer tout son corps, comme si, d'un seul coup, le reste du monde avait disparu et qu'il ne restait que ce rocher sombre, une espèce d'ilôt au-dessus de la sauvagerie du torrent. Tristan ne pensait plus .....Sur le rocher lisse, Esther était appuyée en arrière, les yeux fermés. Tristan la regardait, sans oser s'approcher, sans oser poser ses lèvres sur les épaules qui brillaient, pour goûter à l'eau des gouttes encore accrochées à la peau. Il pouvait oublier le regard âpre des garçons, les paroles médisantes des filles sur la place, quand elles parlaient de Rachel. Tristan sentait son coeur battre très fort dans sa poitrine, il sentait le rayonnement de la chaleur de son sang, toute cette lumière du soleil qui était entrée dans les rochers noirs et qui irradiait leurs corps. Tristan a pris la main d'Esther, et tout à coup, sans comprendre comment il osait, il a posé ses lèvres sur celles de la jeune fille. Esther a d'abord tourné son visage, puis soudain, avec une violence incroyable, elle l'a embrassé sur la bouche. C'était la première fois qu'elle faisait cela, elle fermait les yeux et elle l'embrassait, comme si elle captait son souffle et éteignait ses paroles, comme si la peur qu'elle ressentait devait disparaître dans cette étreinte, qu'il n'y aurait plus rien avant ni après, seulement cette sensation à la fois très douce et brûlante, le goût de leurs salives qui se mêlaient, et le contact de leurs langues, le bruit de leurs dents qui se heurtaient, leur souffle coupé, les battements de leur coeur. Il y avait un tourbillon de lumière. L'eau froide et la lumière enivraient, presque jusqu'à la nausée. Esther a repoussé le visage de Tristan avec ses mains, elle s'est allongée sur la roche, les yeux fermés. Elle a dit:"Tu ne m'abandonneras jamais ?" Sa voix était rauque et pleine de souffrance." Jean Marie Gustave Le Clezio (1992), "Etoile errante", Gallimard, Paris. and "Eaux courantes" au Massif du Grand Paradis, Italie.

dimanche 4 juillet 2010

Wandering star

"Ils descendaient jusqu'au torrent, et elle l'entraînait vers la gorge, en sautant de roche en roche. C'était cela qu'elle savait le mieux faire dans sa vie, pensait-elle: courir à travers les rochers, bondir légèrement en calculant son élan, choisir le passage en un quart de seconde. Tristan voulait la suivre, mais Esther était trop rapide pour lui. Elle bondissait si vite que personne n'aurait pu la suivre. Elle sautait sans réfléchir, pieds nus, ses espadrilles à la main, puis elle s'arrêtait pour écouter la respiration haletante du garçon qui n'arrivait pas à la suivre. Quand elle avait remonté très loin le torrent, elle s'arrêtait au bord de l'eau, cachée par un bloc de rocher et elle guettait tous les bruits, les craquements, les vibrations des insectes, qui se mêlaient au fracas du courant. Elle entendait des chiens aboyer très loin, puis la voix de Tristan, qui criait son nom: "Hélène ! Hé-lè-ne ! ..." Ca lui plaisait de ne pas répondre, de rester blottie à l'abri du rocher, parce que c'était comme si elle était maîtresse de sa vie, qu'elle pouvait décider de tout ce qui lui arriverait. C'était un jeu, mais elle n'en parlait à personne. Qui aurait compris cela ? Quand Tristan étai enroué à force de crier, il redescendait le torrent, et Esther pouvait quitter sa cachette. Elle escaladait la pente, jusqu'au sentier, et elle arrivait au cimetière. Là elle faisait de grands gestes et elle criait pour que Tristan la voie. Mais quelques fois elle retournait toute seule au village et elle rentrait chez elle, elle se jetait sur son lit, la figure dans l'oreiller, et elle pleurait. Elle ne savait pas pourquoi."
Jean-Marie-Gustave Le Clézio (1992), "Etoile errante", roman, Ed. Gallimard, Paris. and Montagne alpes maritimes -LE BOREON.

dimanche 20 juin 2010

Waltz

"Quelqu'un qui aime tant Rodin , dit-il à la fin, devrait faire sa connaissance. Demain je serai à son atelier. Si cela te convient je t'emmène."
Si cela me convenait ! De joie je ne pus dormir. Mais chez Rodin, mon discours se figea. Je ne fus même pas capable de lui adresser la parole et demeurai, parmi ses statues, pareil à l'une d'entre elles. Mon embaras sembla lui plaire, car le vieillard me demanda, comme nous prenions congé, si je ne voulais pas voir son véritable atelier à Meudon, et il m'invita même à déjeuner. J'avais reçu ma première leçon : c'est que les plus grands hommes sont toujours les plus affables. La seconde fût qu'ils sont presque toujours les plus simples dans leur genre de vie. Chez cet homme dont la goire remplissait le monde, dont les oeuvres étaient présentes trait pour trait à notre génération comme les plus proches amis, on mangeait aussi simplement que chez un paysan de moyenne aisance: une bonne viande nourrissante, quelques olives, des fruits en abondance, avec un vigoureux vin de pays. Cela me donna plus de courage; à la fin je parlais de nouveau sans contrainte, comme si ce vieillard et sa femme m'étaient devenus familiers depuis des années." Stephan Sweig (1881-1942), "Le monde d'hier. Souvenirs d'un Européen. Paris la ville de l'éternelle jeunesse", trad. Serge Niémetz, Ed. Belfond. and Auguste Rodin (1840-1917), La Valse.

samedi 19 juin 2010

Poetry

"Si j'écris le nom très cher de Rainer Maria Rilke sur cette feuille consacrée à mes jours parisiens, bien qu'il fût un poète allemand, c'est que Paris a été le cadre de nos rencontres les plus fréquentes et les plus heureuses, et que je vois toujours son visage se détachant, comme les portraits anciens, sur le fond de cette ville qu'il a aimée plus qu'aucune autre. Quand je songe aujourd'hui à lui et à ces autres maîtres du Verbe forgé comme par l'Art auguste de l'orfèvre, quand je songe à ces noms vénérés qui ont resplendi sur ma jeunesse comme d'innaccessibles constellations, cette question mélancolique m'assaille irrésistiblement: d'aussi purs poètes, tout entiers dévoués au lyrisme, seront-ils encore possibles dans notre époque de turbulence et de désordre universel ? N'est-ce pas une lignée disparue que je regrette en eux avec amour, une lignée sans postérité immédiate dans nos jours traversés par tous les ouragans du destin ? Ces poètes ne convoitaient rien de la vie extérieure, ni l'assentiment des masses, ni les distinctions honorifiques, ni les dignités, ni le profit; ils n'aspiraient à rien d'autre qu'à enchaîner dans un effort silencieux et pourtant passionné, des strophes parfaites dont chaque vers était pénétré de musique, brillant de couleurs, éclatant d'images. Ils formaient une guilde, un ordre presque monastique au milieu de notre époque bruyante, eux qui s'étaient délibérement détournés du quotidien, eux pour qui rien ne comptait dans l'univers que le chant délicat - et qui pourtant survivait au fracas de l'époque - d'une rime qui s'accorde à une autre, en libérant cet innéfable émoi, plus insensible que la chute d'une feuille au vent, mais qui touche de sa vibration les âmes les plus lointaines." Stephan Sweig (1944), "Le monde d'hier, Souvenirs d'un Européen", trad. Serge Niémetz, Ed. Belfond. and Maurice Denis (1870-1943), Printemps.

lundi 7 juin 2010

Esistere Psichicamente

Da questa artificiosa terra-carne



esili acuminati sensie sussulti e silenzi,

da questa bava di vicende

- soli che urtarono fili di ciglia

ariste appena sfrangiate pei colli -

da questo lungo attimo

inghiottito da nevi,

inghiottito dal vento,

da tutto questo che non fu

primavera non luglio non autunno

ma solo egro spiraglio

ma solo psiche,

da tutto questo che non è nulla

ed è tutto ciò ch'io sono:

tale la verità geme a se stessa,

si vuole pomo che gonfia ed infradicia.

Chiarore acido che tessi

i bruciori d'inferno

degli atomi e il conato

torbido d'alghe e vermi,

chiarore-uovo

che nel morente muco fai parole

e amori.

Andrea Zanzotto (1957 ), Vocativo, Mondadori (Lo Specchio), Milan.

and

Tivoli, Villa Adrianna.

jeudi 27 mai 2010

Eros and Psyche

"Mais il lui interdit à plusieurs reprises, et sous les plus terribles conséquences, de jamais chercher à voir sa figure, au cas où ses soeurs lui en donneraient le conseil pernicieux. Cette curiosité sacrilège la précipiterait du faîte du bonheur dans un abîme de calamités, et la priverait à jamais de ses embrassements. Psyché remercie son époux, et, dans un transport de joie: "Ah ! " dit-elle, "plutôt cent fois mourir que de renoncer à cette union charmante ! Car je t'aime, qui que tu sois; oui, je t'aime plus que ma vie. Cupidon lui-même me paraîtrait moins aimable. Mais, de grâce, encore une faveur. Ordonne à ton familier Zéphyr d'amener mes soeurs ici, comme il m'y a transportée moi-même". Elle prodigue en même temps à son époux les baisers, les mots tendres; et l'enlaçant des plus caressantes étreintes : "Doux ami", disait-elle, "cher époux, âme de ma vie"... C'en est fait, Vénus sera vengée. L'époux cède, non sans regret; tout est promis, et l'approche du jour le chasse encore des bras de Psyché....Il est nuit. L'époux est à son poste. Il livre un premier combat, prélude de sa campagne nocturne, puis s'endort d'un sommeil profond. ... Au pied du lit gisaient l'arc, le carquois et les flèches, insignes du plus puissant des dieux. La curieuse Psyché ne se lasse pas de voir, de toucher, d'admirer en extase les redoutables armes de son époux. Elle tire du carquois une flèche, et, pour en essayer la trempe, elle en appuie le bout sur son pouce; mais sa main, qui tremble en tenant le trait, imprime à la pointe une impulsion involontaire. La piqûre entame l'épiderme, et fait couler quelques gouttes d'un sang rosé. Ainsi, sans s'en douter, Psyché se rendit elle-même amoureuse de l'Amour. De plus en plus éprise de celui par qui l'on s'éprend, elle se penche sur lui la bouche ouverte, et le dévore de ses ardents baisers. Elle ne craint plus qu'une chose, c'est que le dormeur ne s'éveille trop tôt. Mais tandis qu'ivre de son bonheur, elle s'oublie dans ces transports trop doux, la lampe, ou perfide, ou jalouse, ou impatiente de toucher aussi ce corps si beau, de le baiser, si j'ose le dire, à son tour, épanche de son foyer lumineux une goutte d'huile bouillante sur l'épaule droite du dieu. ... Le dieu brûlé se réveille en sursaut. Il voit le secret trahi, la foi violée, et, sans dire un seul mot, il va fuir à tire d'aile les regards et les embrassements de son épouse infortunée. Mais au moment où il se lève, Psyché saisit à bras-le-corps sa jambe droite, s'y cramponne, le suit dans son essor, tristement suspendue à lui jusqu'à la région des nuages; et lorsqu'enfin la fatigue lui fait lâcher prise, elle tombe sans mouvement par terre. Cupidon attendri répugne à l'abandonner en cet état : il vole sur un cyprès voisin; et d'une voix profondément émue :"Trop crédule Psyché", dit-il, "pour vous j'ai enfreint les ordres de ma mère. Au lieu de vous avilir, comme elle le voulait, par une ignoble passion, par un indigne mariage, je me suis moi-même offert à vous pour amant. Imprudent ! Je me suis, moi, si habile archer, blessé d'une de mes flèches, j'ai fait de vous mon épouse. Et tout cela, pour me voir pris pour un monstre, pour offrir ma tête au fer homicide, sans doute parce qu'il s'y trouve deux yeux trop épris de vos charmes. J'ai tout fait pour tenir votre prudence éveillée. Ma tendresse a prodigué les avertissements; mais sous peu j'aurai raison de vos admirables conseillères et de leurs funestes insinuations. Quant à vous, c'est en vous fuyant que je veux vous punir". En achevant ces mots, il se lance en oiseau dans les airs". Apulée (II° siècle av. J.C), Roman grec et latin "Les Métamorphoses", V, 1, 10 - V, 21, 5 - V, 24, 1 . trad. M. Nisard, Université Catholique de Louvain. and Images of Grèce, Folegandros.

lundi 3 mai 2010

Ritratto in poesia

Guardare altrove

Occhi grandi

Come dei laghi commossi.


Io sono passante

Cerco arte dovunque,

Io sono passante,

E vivere è arte.


I bambini non sono più bambini

Lo sono stati

Che cosa scrivi per me ?


Voglio reincontrare

Chi amo

Per fissare

Questi occhi

Dentro occhi

Grandi anch'essi,

E produrre arte

E proddure infinità.


Carlo Sconosciuto (2010), scrittore nel Parco Borghèse, Roma.

and Gustave Courbet (1854), La Mer à Palavas, Musée Fabre, Montpellier.

vendredi 16 avril 2010

Lacking

"Pour moi écrire est une urgence et une nécessité que j'essaie d'accomplir avec le maximum d'honnêteté" ... "Ecrire doit nous donner faim d'amour ainsi qu'une certaine nostalgie de la vie car notre existence ne nous satisfait jamais pleinement " ... "Ecrire est un destin et le talent un don qu'il faut restituer aux lecteurs, en travaillant avec humilité" ...
"Je croyais qu'écrire était une activité douloureuse et incompatible avec la vie. En réalité, c'est le contraire. L'écriture est exaltation, même si elle s'accompagne de souffrance et de fatigue. C'est comme s'élancer dans les bras d'un amoureux. C'est un privilège" ...

"Au lieu de regarder mon nombril, j'écris toujours en observant le monde. Je refuse donc tout minimalisme, derrrière lequel se cache souvent une forme d'anorexie littéraire et une abscence de générosité. Pour moi l'écriture doit être généreuse, car on écrit toujours pour les autres et jamais pour soi-même" ...

"Les manques rendent les gens uniques et intéressants. Ils les obligent à sortir de leur cocon. Dans ce roman le manque d'enfant pousse Gemma vers l'inconnu. Obnubilée par son désir, elle est prête à tout, en se retrouvant à Sarajevo, dans le grand utérus noir de la guerre. Un entonnoir qui avale tout mais qui restitue toujours quelque chose" ...

"Quelle part de vie cette guerre renferme-t-elle ? Et quelle mort, dans ma paix ?" Margaret Mazzantini (2008), Interview about "Venuto al mondo " in "Le Monde", the Friday, 16nd of April, 2010. and Auguste Rodin (1890), Le Baiser , Musée Rodin, Paris.

mercredi 31 mars 2010

Sunshine

"Comme elle se réjouissait d'avoir de bonnes nouvelles de lui, meilleures que ce qu'elle même avait à raconter ! Son mariage, elle l'en félicitait sans ambiguité et avec dignité: malgré lui, c'est le coeur méfiant qu'il l'écouta, mais aucune dissonance dissimulée ou sournoise ne venait assourdir cette partition limpide. Tout était dit avec simplicité, sans aucune outrance ostantatoire, sans aucun attendrissement sentimental, tout le passé semblait purement et simplement dissous, se perpétuant sous la forme de la sympathie, la passion semblait placée sous l'éclairage d'une pure amitié. Il n'en attendait pas moins de l'élégance de son coeur, mais, sensible à cette façon de procéder franche et sûre (tout d'un coup il lui semblait lire de nouveau dans son regard), grave et néanmoins souriant en écho à cette bonté, il fut envahi par une sorte de reconnaissance attendrie: il s'assit aussitôt, lui écrivit longuement et en détail, et l'habitude, longtemps contrariée, de se raconter leur vie fut reprise comme si de rien n'était - l'écroulement d'un monde n'avait rien réussi à détruire. Il éprouvait désormais une profonde gratitude devant la courbe lumineuse de sa vie." Stefan Zweig, "Le voyage dans le passé", Ed. S. Fischer Verlag in "Winderstand der Wirklichkeit", 1987. tr. fr. Ed. Grasset, 2008. and Joseph Mallord William Turner (1830), La plage de Calais à marée basse, des poissardes récoltant des appâts, Exposition du Grand Palais, Paris, Printemps 2010.
...
Stevie Wonder - You are the sunshine of my life

samedi 27 mars 2010

Thanks

"La grâce, c'est la force suhumaine d'affronter le monde seul, sans effort, de le défier en duel tout entier sans même se décoiffer. C'est un talent de prophète. C'est un don et toi tu l'as reçu." Erri De Luca, "In nome della madre" (2006), Giangiacomo Feltrinelli Editore, Milano. and Léonard de Vinci (1506), La Joconde , Musée du Louvre, Paris.

jeudi 25 mars 2010

Dumb

"Muette étais - je.

Tu me fais peur à ne pas pleurer, fils.

Comment se fait-il que tu n'aies pas pleuré, mon fils,

Comment se fait-il que tu n'aies pas pleuré ?

Ce n'est pas parce que tu ne peux pas pleurer, que tu ne pourras pas parler ?

Il vaudrait mieux, tu serais en sécurité,

Il vaudrait mieux que tu sois muet,

On donne trop d'importance aux mots,

Ils finissent par contraindre à l'exil,

A la prison ou pire.
Mais non tu n'es pas muet

Et pas même étonné de te trouver hors de moi.

Mais non, tu n'es pas muet

Et pas même éffleuré par le monde autour de toi.

Muette étais-je devant l'ange,

Muette étais-je,

Etonnée, moi devant l'ange,

Effleurée, moi.

Fils d'un vent de paroles sur moi,

Toi en revanche tu seras un vase de phrases.

Tu me fais peur à ne pas pleurer, fils."


Erri De Luca (2006), "In nome della madre", Giangiacomo Feltrinelli Editore, Milano. trad. fr. Ed. Gallimard, 2006. and Michelangelo Merisi da Caravaggio (1605), Madonna ai Palafrenieri, Galleria Borghèse, Roma.

lundi 15 mars 2010

Damning

"Mi avvicino ancora e Caravaggio in quel momento si svolta: è ansimante e molto sofferente; mi guarda, mi riconosce e scoppia a piangere: "Sto morendo, Magdalena, solo e abbandonato da tutti". Mi siedo accanto a lui e provo ad accarezzargli il viso, ma lui si ritrae; lo rassicuro: "Non morirai, vedrai. Sento la vita che mi sfugge via, il dolore è cosi forte che non riesco a provare nessun sentimento", mi risponde. "Ma io non mi riferivo a questo". Lui mi guarda senza capire, allora io mi volto e lo chiamo ...

Caravaggio mi guardo e mi ringrazia con gli occhi gonfi di lacrime di goia; poi mi chiede di promettere di far diventare Michelangelo un pittore. Io annuisco sorridendo, non posso fare diversamente: lui presto morirà, forse già domani. Non so come raccontero la storia di Caravaggio a suo figlio, e non so se riusciro mai a raccontargli tutto: gli narrero un po' per volta tutte le vicende, come se appartenessero ad una favola o ad una leggenda. In fin dei conti, tutta la vita di Caravaggio è stata una leggenda." Porto Ercole, luglio 1610.
Andrea Nao, "Le prostitute di Caravaggio", Epilogo, Schena Editore, 2007. and Michelangelo Merisi da Caravaggio (1606), Emmaus, Pinacoteca di Brera (Sala XXIX), Milan.

jeudi 4 mars 2010

Bleeding

"Quindi sei Lombardo anchè tu ?" chiede Caravaggio, mentre i due camminano qualche metro indietro rispetto agli altri del gruppo.
"Già. Di viaggio -risponde Onorio. - E tu, dove sei nato ?"
"A Caravaggio".
Onorio scoppia a ridere fragorosamente, piegandosi in due e battendo i piedi per terra. Questo nome lo fa proprio divertire. - Caravaggio ! - ripete tra sè, poi grida agli altri : "Ragazzi, vi presento Caravaggio !"
Tutti scoppiano a ridere. Ma Caravaggio non sembra offendersi e domanda: "Chi siete voi ?"
"Noi ? Ci vedi, no ? Noi siamo i padroni di Roma !" dice Onorio con orgoglio e allargando le braccia come abbracciare tutta la città.
" Dove state andando ?"
" A Campo dei Fiori. Ti unisce a noi ?"
" Sono già dei vostri "
Onorio sorride e grida di nuovo rivolto verso gli altri : "Ragazzi, Caravaggio è dei nostri !"
Tutti si avvicinano al nuovo arrivato e lo circondano, dandogli dei colpi sulle spalle.
"Se siamo pronti, è il momento di andare all'attacco"
I ragazzi iniziano correre per le strade di Roma e Caravaggio li segue. Arrivano velocemente in Campo dei Fiori, si fermano a guardare la gente riunita nella piazza. Onorio osserva attentamente il viavai che la caratterizza. Sa dove puntare il suo sguardo, nota un gruppo di quattro uomini ben vestiti e sorride. Li indica e chiede agli altri : "Cosa dite ragazzi ? Gli facciamo capire chi commanda qui a Roma ? Non il papa, non i cardinali, bensi noi ?"
Carichi di euphoria ed eccitazione, tutti rispondono entusiasticamente in coro:"All'attacco allora !"
Il gruppo raggiunge di corsa i quattro uomini e li circonda; mentre le vittime, impaurite e spaventate, si guardano intorno senza riuscire a muoversi. E sopratutto senza osare chiedere aiuto : sanno bene che per loro sarebbe molto peggio.
Uno dei giovani inizia l'esibizione, recitando ad alta voce : " Salve begl'uomini che di notte camminate indifesi; vi chiediamo una breve tassa; se a terra non volete finire stesi !" I giovani ridono di gusto mentre gli uomini, in silenzio e senza tentare alcuna resistenza , svuatano le tasche di tutti gli scudi d'oro in loro possesso". Onorio conosce alla perfezione la tattica da usare , ampiamente collaudata. ... "
Andrea Nao, "Le prostitute di Caravaggio", VIII, Schena Editore, 2007. and Michelangelo Merisi dal Caravaggio, "Incoronazione di spine" (1602-1604), Vienna Kunsthistoriches Museum.

vendredi 26 février 2010

Injury

"Mais en moi se formait une volonté de fer. Toute ma pensée et tous mes efforts étaient tendus vers un seul but : revenir à Vienne, revenir près de toi. Et je réussis à imposer ma volonté, si insensée, si incompréhensible pût-elle paraître aux autres ... Est-il besoin de dire où me conduisirent d'abord mes premiers pas, lorsque par un soir brumeux d'automne enfin ! enfin ! j'arrivai à Vienne ? ... Tes fenêtres étaient éclairées, mon coeur battait violemment. C'est alors seulement que je retrouvai de la vie dans cette ville, dont jusqu'à ce moment tout le vacarme avait été pour moi si étranger, si vide de sens; c'est alors seulement que je me repris à vivre, en me sentant près de toi, mon rêve éternel ...
Et enfin un soir tu me remarquas. Je t'avais vu venir de loin, et je concentrai toute ma volonté pour ne pas m'écarter de ton chemin ...

Tu ne me reconnus pas, ni alors, ni jamais: jamais tu ne m'a reconnue. Comment, ô mon bien-aimé, te décrire la désillusion que j'éprouvai en cette seconde ? Je subissais alors pour la première fois cette fatale douleur de ne pas être reconnue par toi, cette fatale douleur qui m'a suivie toute ma vie et avec laquelle je meurs: rester inconnue, rester toujours inconnue de toi. Comment pourrais-je te la décrire cette désillusion ? ...

Toutes les formes possibles de ta défaveur, de ta froideur, de ton indifférence, je me les étais toutes représentées dans des visions passionnées; mais dans mes heures les plus noires, dans la conscience la plus profonde de mon insignifiance, je n'avais même pas osé envisager cette éventualité, la plus épouvantable de toutes; que tu n'avais même pas porté la moindre attention à mon existence. Aujourd'hui je le comprends, ah ! Tu m'as appris à comprendre bien des choses !" Stefan Zweig, "Lettre d'une inconnue", La cosmopolite, Stock, 2009. trad. from Williams Verlag, Zürich, et Atrium Press, London, 1976. and Musikverein, Wien.

samedi 20 février 2010

Sculptor

"C'est alors que Rodin avait découvert le fondement de son art, pour ainsi dire la cellule première de son univers. C'était la surface, cette surface, d'une autre grandeur, d'une autre tonalité, cette surface bien précise à partir de laquelle tout devait être fait. Dès lors elle devint le matériau de son art, ce pour quoi il se donnait de la peine, et ce pourquoi il veillait et souffrait ...Ce n'était pas de l'orgueil chez lui. Il se rattachait à cette beauté discrète et pesante, qu'il était encore en mesure d'appréhender d'un coup d'oeil, d'appeler et de redresser. L'autre beauté, la grande devait arriver quand tout serait fini, tout comme les animaux arrivent à l'abreuvoir lorsque la nuit a pris fin et que plus rien d'étranger ne hante la forêt.

C'est par cette découverte que commença le travail le plus personnel de Rodin. C'est seulement à partir de ce moment que les concepts habituels de la plastique perdirent pour lui toute leur valeur. Il n'y avait plus ni pose, ni groupe, ni composition. Il y avait seulement une infinité de surfaces vivantes, il n'y avait que la vie, et le moyen d'expression qu'il s'était trouvé, allait précisément à la rencontre de cette vie. Maintenant il s'agissait de se rendre maîre d'elle et de sa plénitude. Rodin empoignait la vie, qui était partout où il portait son regard. Il la saisissait par leurs plus petits endroits, il l'observait, il la suivait. Il l'attendait aux passages où elle hésitait, il la rattrapait là où elle courait et où que ce soit, il la trouvait partout aussi grande, aussi puissante et entraînante. Là aucune partie du corps n'était insignifiante ou négligeable: elle vivait." Rainer Maria Rilke (1902) ,"Auguste Rodin" in Oeuvres Poëtiques Vol. III, Ed. Insel Verlag, 1966. trad. fr., Ed. La part Commune, 2007. and Auguste Rodin (1840-1917), Femme accroupie, Musée Rodin, Paris 7.

mardi 9 février 2010

To remember

" Elle est très occupée par ce qu'elle cherche à revoir. C'est la première fois qu'elle s'absente si fort de moi. Pourtant de temps en temps elle tourne la tête et me sourit comme quelqu'un, il ne faudrait pas que je le croie, qui n'oublie pas.
L'approche diminue, la presse, à la fin elle parle presque tout le temps. Je n'entends pas tout. Je la tiens toujours dans mes bras. Quelqu'un qui vomit, on le tiend tendrement. Je me mets à regarder moi aussi ces lieux indestructibles qui en ce moment deviennent ceux de mon avènement. Voici venue l'heure de mon accès à la mémoire de Lol V. Stein ...
Elle s'endort.
Sa main s'endort avec elle, posée sur le sable. Je joue avec son alliance. Dessous la chair est plus claire, fine, comme celle d'une cicatrice. Elle ne sait rien. J'enlève l'alliance, je la sens, elle n'a pas d'odeur, je la remets. Elle ne sait rien.
Je n'essaie pas de lutter contre la mortelle fadeur de la mémoire de Lol V. Stein. Je dors".
Marguerite Duras, Le ravissement de Lol V. Stein, Gallimard, 1984. and "Hands" ...

lundi 8 février 2010

Darling

"Comme pour la première fois Lol est déjà là sur le quai de la gare, presque seule, les trains des travailleurs sont plus tôt, le vent frais court sous son manteau gris, son ombre est allongée sur la pierre du quai vers celles du matin, elle est mêlée à une lumière verte qui divague et s'accroche partout dans des myriades de petits éclatements aveuglants, s'accroche à ses yeux qui rient, de loin, et viennent à ma rencontre, leur minerai de chair, brille, brille, à découvert. Elle ne se presse pas, le train n'est que dans cinq minutes, elle est un peu décoiffée, sans chapeau, elle a, pour venir, traversé des jardins, et des jardins où rien n'arrête le vent.
De près dans le minerai, je reconnais la joie de tout l'être de Lol V. Stein. Elle baigne dans la joie. Les signes de celle-ci sont éclairés jusqu'à la limite du possible, ils sortent par flots d'elle même toute entière. Il n'y a, strictement, de cette joie qui ne peut se voir, que la cause.
Aussitôt que je l'ai vue dans son manteau gris, dans son uniforme de S. Tahla, elle a été la femme du champ de seigle, derrière l'Hotel des Bois. Celle qui ne l'est pas. Et celle qui l'est dans ce champ et à mes cotés, je les eues toutes deux enfermées en moi.
Le reste je l'ai oublié.
Et durant le voyage cette situation est restée inchangée, elle a été à coté de moi séparée de moi, gouffre et soeur. Puisque je sais, - ais-je jamais su à ce point quelque chose ? - qu'elle m'est inconnaissable, on ne peut pas être plus près d'un être humain que je le suis d'elle, plus près d'elle qu'elle même si constamment envolée de sa vie vivante ...
Nous faisons les cent pas sur le quai de la gare, sans rien dire. Dès que notre regard se rencontre on rit".
Marguerite Duras , Le ravissement de Lol V. Stein, Gallimard, 1984. and "En bordure du Mekong, entre Saïgon et le Laos".

dimanche 7 février 2010

Amazing

"Accroché à elle Jacques Hold ne pouvait se séparer de Tatiana Karl. Il lui parla. Tatiana Karl était incertaine de la destination des mots que lui dit Jacques Hold. Sans aucun doute elle ne crut pas qu'ils s'adressaient à elle, ni pour autant à une autre femme, absente ce jour, mais qu'ils exprimaient les besoins de son coeur. Mais pourquoi cette fois-ci plutôt qu'une autre ? Tatiana cherchait dans leur histoire, pourquoi.
- Tatiana tu es ma vie, ma vie, Tatiana.
Les divagations de son amant ce jour-là, Tatiana les écouta tout d'abord dans le plaisir qu'elle aime, d'être dans les bras d'un homme, une femme mal désignée.
- Tatania je t'aime, je t'aime Tatiana.
Tatania acquiesça, consolatrice, maternellement tendre:
- Oui. Je suis là près de toi.
Tout d'abord dans le plaisir qu'elle aime de voir dans quelle liberté on était auprès d'elle puis, tout à coup, interdite, dans l'orient pernicieux des mots:
- Tatiana, ma soeur, Tatania.
Entendre ça ce qu'il dirait si elle n'était pas Tatiana, ah ! douce parole.
- Comment te faire encore plus, Tatania ?
Il devait y avoir une heure que nous étions là tous les trois, qu'elle nous avait vus tour à tour apparaîre dans l'encadrement de la fenêtre, ce miroir qui ne reflétait rien et devant lequel elle devait délicieusement ressentir l'éviction souhaitée de sa personne.
- Peut-être que sans le savoir ... dit Tatania, toi et moi ...
Ce fut le soir enfin.
Jacques Hold recommença encore avec de plus en plus de mal à posséder Tatania Karl. A un moment, il parla continûment à une autre qui ne voyait pas, qui n'entendait pas, et dans l'intimité de laquelle, étrangement il parut se trouver".
Marguerite Duras , Le Ravissement de Lol V. Stein (1964), Gallimard. and Le Titien, Le concert champêtre.

samedi 6 février 2010

Hourly

Vendredi 6 Février 1948
"C'est toujours doux de revenir à Paris pour trouver une douce lettre de vous. Dans le train je savais que je la trouverais et ça me donnait l'illusion que je revenais vers vous ...
Il est 22 heures, j'ai préservé une bonne soirée pour vous et moi. J'ai diné seule, légèrement, et me voilà aux "Deux magots" déserts à pareille heure, chauds, tranquilles et où je bois un cognac, votre lettre sur les genoux. Votre sourire flotte comme une brume à trois mois de distance il se rapproche chaque jour, et chaque jour aussi mon amour pour vous s'approfondit. Vous me rendez très heureuse ...
Dites-moi mon chéri, j'ai imaginé une sorte de pacte, puisque nous sommes tous deux impérieux et que tous deux nous aimons organiser et planifier: divisons les journées en deux, vous organiserez la nuit (il m'est revenu que vous n'y étiez pas mauvais) et je me soumettrai aveuglément, en revanche moi j'organiserai les jours, et vous me suivrez aveuglément. Qu'en pensez-vous ?" Simone de Bauvoir, Lettres à Nelson Algren, Gallimard, 1997. and Le café de Flore (en face des Deux magots), Paris.

vendredi 5 février 2010

If ever

"Eteins mes yeux : je peux te voir
Bouches mes oreilles : je peux t'entendre
Et même sans pieds je peux aller vers toi
Et même sans bouche je peux t'invoquer.
Arraches-moi les bras : je te saisis
Avec mon coeur comme avec une main
Déchires-moi le coeur : et mon cerveau battra
Et même si tu fais de mon cerveau un brasier
Je te porterai dans mon sang."

Rainer Maria Rilke (1875-1926), Le Livre d'heures, Le livre d'images (1899). and Auguste Rodin (1840-1917), L'homme qui marche (1900-1907), Musée Rodin, Paris.

jeudi 4 février 2010

Virtuosity

"Même si dans tous les cas, une rivalité naît entre l'homme et l'artiste quant à savoir comment répartir leurs forces à tous deux, Rainer, lui, pensait que l'objet de son art était Dieu lui-même, ce Dieu qu'exprimait son attitude devant les tréfonds de sa vie, ce qu'il y a de plus anonyme au-delà des limites conscientes du Moi ... On peut même dire que la grandeur de Rainer comme poète, ainsi que le caractère tragique de l'homme qu'il fût, proviennent de ce qu'il ait dû s'exprimer totalement dans la création d'un dieu devenue sans objet. Quelle que fût ou serait la domination exercée sur le croyant par son désir de créer et de s'exprimer, celui-ci ne concerne pourtant pas cet autre élément tout-puissant: le fait que le monde baigne dans Dieu, fait qui, en tant que tel, n'a pas besoin de Rainer. En Rainer, l'absence d'objet n'altérait pas non plus son attitude intérieure, mais sa mission d'artiste, de créateur, elle, devait aller au plus profond, au plus humain de lui-même: là où elle menaçait d'échouer, elle menaçait également cette chose même dont l'objet coïncidait avec celui de sa création.
Voilà aussi ce qui permet de comprendre "l'angoisse" de Rainer comme une fatalité: non pas comme la simple anxiété d'une nature fragile devant les pertes d'objets au cours de la vie, ou comme celle de toutes les véritables natures d'artiste par suite de l'intermittence de leur force créatrice, à laquelle on ne peut commander, mais comme l'angoisse absolue d'être englouti dans le néant où a aussi disparu ce qui, ne faisant pas partie de nous, agit sur nous et sur tout ... "
Lou Andreas Salomé (1931), Avec Rainer, in "Ma vie, esquisse de quelques souvenirs", Puf, 1979. trad. du "Lebensruckblick", Insel Verlag, Frankfurt am Main, 1968. and Gian Lorenzo Bernino, Le David, Galleria Borghese, Rome.

mercredi 3 février 2010

All the while

"Rainer partagea entièrement la vie très modeste que nous menions à la lisière de la forêt de Schmargendorf, près de Berlin; cette forêt nous menait en quelques minutes en direction de Paulsborn, et nous passions devant des chevreuils familiers qui flairaient les poches de nos manteaux pendant que nous nous promenions pieds nus, ce que mon mari nous avait appris.Dans le petit appartement où la cuisine était, en dehors de la bibliothèque de mon mari, la seule pièce pouvant faire office de salon, il n'était pas rare que Rainer m'assista quand je faisais la cuisine, en particulier quand il y avait son plat préféré, du gruau à la russe ou du bortsch; il perdit complétement ce coté enfant gaté qui le faisait souffrir autrefois des moindres restrictions, et se plaindre du peu d'argent qu'il recevait chaque mois. Vêtu de sa tunique russe bleue avec sa fermeture rouge sur l'épaule, il m'aidait à fendre du bois ou à essueyer la vaisselle, ce qui nous empêchait pas de parler de nos diverses études. Elles avaient trait à maints domaines; mais ce qu'il étudiait avec le plus d'ardeur - lui qui était plongé depuis longtemps dans la littérature russe - c'étaient la langue et la civilisation russes, depuis que nous avions sérieusement l'intention de faire un grand voyage dans ce pays. ... Finalement nous allâmes tous les trois, vers Pâques 1899, à Saint Pétersbourg dans ma famille, et à Moscou; c'est seulement un an plus tard que Rainer et moi parcourûmes la Russie plus à fond."
Lou Andreas Salomé, "Ma vie, esquisse de quelques souvenirs", Puf, 1979. trad. du "Lebensruckblick", Insel Verlag, Frankfurt am Main, 1968. and Egon Schiele, Quatre arbres.