jeudi 16 septembre 2010

Exhibition

"Il avança dans la Rathausstrasse et arriva devant sa maison. Sa maison, sa belle maison, n'existait plus, elle avait été détruite par un obus. Mais dans le petit jardin, qui survivait intact, il y avait son divan. Et sur le divan était étendu un rustaud avec des sabots et la chemise hors du pantalon, qui ronflait.

Le docteur Freud s'approcha de lui et le réveilla. Qu'est-ce que vous faites ici ?, lui demanda-t-il. Le rustaud le fixa avec des yeux écarquillés. Je cherche le docteur Freud, dit-il. Le docteur Freud c'est moi, dit le docteur Freud.
Ne me faites pas rigoler, Madame, dit le rustaud.

Eh bien, dit le docteur Freud, je vais vous confier quelque chose, aujourd'hui j'ai décidé de prendre les apparences d'une de mes patientes, et c'est pour cela que je suis habillé ainsi, je suis Dora. "Dora" dit le rustaud, mais moi je t'aime. Et disant cela il l'embrassa. Le docteur Freud éprouva un grand désarroi et se laissa tomber sur le divan. A cet instant il se réveilla. C'était sa dernière nuit, mais il ne le savait pas." Antonio Tabucchi (1992), Sogni di sogni, "Rêve du docteur Sigmund Freud", trad. fr., Gallimard, 2007. and Dr Jean-Martin Charcot (1825-1893) with her patient Blanche.

samedi 11 septembre 2010

The end of dream

"C'est une longue histoire, dit-il, mais il est inutile que je vous l'explique en long et en large, vous êtes intelligent et vous comprendrez même si je saute des passages. Sachez seulement une chose, c'est que moi je suis vous. Expliquez-vous mieux, dit Pessoa.
Je suis la partie la plus profonde de vous, dit Caeiro, votre part obscure. C'est pour cela que je suis votre maître. Un clocher dans le village voisin sonna l'heure.
Et moi qu'est-ce que je dois faire ?, demanda Pessoa.
Vous vous devez suivre ma voix, dit Caeiro, vous m'écouterez dans la veille et dans le sommeil, parfois je vous dérangerai, d'autres fois vous ne voudrez pas m'entendre. Mais vous devrez m'écouter. Vous devrez avoir le courage d'écouter cette voix, si vous voulez être un grand poète.
Je le ferai, dit Pessoa, je le promets.
Il se leva et prit congé. Le fiacre l'attendait devant la porte. A présent, il était de nouveau adulte, et ses moustaches avaient repoussé. Où dois-je vous conduire ?, demanda le cocher. Conduisez-moi vers la fin du rêve, dit Pessoa, c'est ajourdhui le jour triomphal de ma vie. C'était le 29 mars, et un tiède soleil filtrait à travers la fenêtre de Pessoa."
Antonio Tabucchi (1992), Sogni di sogni, "Rêve de Fernando Pessoa", trad. fr. Gallimard, 2007. and Alberto Giacometti, "Caroline", Fondation Maeght, Exposition de Septembre 2010.