dimanche 4 décembre 2011

At two heads

"Le edicole sacre, presenti ancora oggi in gran numero nelle città e nelle campagne, considerate un tempo come espressioni artistiche "minori", e quindi poco importanti, sono uno degli aspetti più interessanti di una cultura popolare fondata su tradizioni antichissime. Una delle più famose edicole barocche della città, si trova in Via del Pellegrino, all'altezza dell'Arco di S.Margherita; è una bella composizione in stucco, realizzata per volere del cardinale Pietro Ottoboni nel 1716, autore fu Francesco Moderati, scultore e stuccatore abbastanza famoso. Graziosa e delicata la statua della Vergine col Bambino posta nell'edicola, coronata da un fastigio ornato da due angioletti. Nel medaglione sotto la statua della Vergine è raffigurato S.Filippo Neri, affiancato da una coppia di aquile a due teste, simbolo della famiglia Ottoboni". Giovanni Tesei (1988), "Scopri di Roma, Le edicole sacre", Polo Books, 2° ed. septembre 2007. and L'edicolo della Via S.Pellegrino, Roma.

dimanche 20 novembre 2011

The crocodile

"Mon crocodile bien aimé, je vous aime si fort au long de ces journées mouillées. La distance de la séparation, parfois, fait s'évanouir l'être aimé, il n'est plus qu'une douce et triste musique, une nostalgie, une chaude odeur de vie, insaisissables. Puis on croise au coin d'une rue cet homme entre tous que l'on aime, cette mèche de cheveux, ce sourire unique, ces épaules à la hauteur exacte de votre joue.Vous êtes ainsi venu vers moi hier matin, vous m'avez prise par la main et plus lachée. Et voilà votre lettre. Chéri, je ne suis pas si niaise, je savais bien que vous me taquiniez, vos fantaisies m'amusaient, je n'ai pas le caractère si mal fait, il faudrait que je sois bien sotte. Moi aussi figurez vous je vous taquinais en prétendant être insultée. Si vous me blessiez réellement (ce qui pourrait arriver puisque je suis assez folle pour vous aimer), je ne réagirais pas par de la froideur, mais par de la colère, ou du chagrin, ou les deux à la fois ... Je n'aurais pas assez d'orgueil pour rester hautaine, froide et distante. Nous verrons bien ... ou peut -être pas, tout dans notre amour paraît si chaud, si heureux, si naturel. Oui vous menez une vie sérieuse, austère, mais pour moi une simple phrase de vous comme "J'ai balayé le sol" s'imprègne de poésie, parce qu'elle évoque la petite maison, et vous. En toute raison, vous ne pouvez tirer le même plaisir de votre pure idée que moi, ce serait inquiétant. Alors effectivement votre solitude, la correction de vos épreuves, tout ça peut paraître morne. Travaillez dur, s'il vous plaît pour prendre des vacances au printemps, et nous transformerons votre vie au point que vous regretterez ces jours et ces nuits tranquilles. Finie la paix, vous voyagerez, vous verrez des choses, des gens, vous boirez, vous remuerez vos mâchoires, vous entendrez le bruit des miennes, vous m'aimerez comme je vous aime. Vous serez soulagé quand je partirai. Vous tremblez, hein ?" Simone de Beauvoir (1997), Lettres à Nelson Algren, novembre 1947, Gallimard, Paris. and the caffé Greco, Rome, Italy.

lundi 29 août 2011

Blue eternity

"Sei tu questi fiori nella sera .... Che luce maturano in miriadi d'occhi ... Di fame da sempre come nel solco ... La pioggia d'estate ... Sei tu quell'orizzonte a grani lucenti ... Che la pace apre nel sangue come lento orgasmo ... L'estate è una ferita nel ricordo di noi "...
Allessandro Contadini (2008), "Ogni lettera è meta nella luce", Ed. Il labirinto, Roma. and La casa blue, Frida Kahlo e Diego Rivera , Mexico 2011.

vendredi 19 août 2011

Short story

" Elle s'arrête, elle regarde autour d'elle: il n'y a personne, aucune forme humaine. il y a seulement les grandes dunes arrêtées, semées de chardons, et les vagues qui viennent, une à une, vers le rivage. Peut-être que c'est la mer qui regarde comme cela sans cesse, regard profond des vagues de l'eau, regard éblouissant des vagues des dunes de sable et de sel ? Naman le pêcheur dit que la mer est comme une femme, mais il n'explique jamais cela. Le regard vient de tous les cotés à la fois.Alors à ce moment là, il y a un grand vol de mouettes et de sternes qui passe le long du rivage, couvrant la plage d'ombre. Lalla s'arrête, les jambes enfoncées dans le sable mêlé d'eau, la tête rejetée en arrière: elle regarde passer les oiseaux de mer. Ils passent lentement, remontant le courant du vent tiède, leurs longues ailes effilées brassant l'air. Leurs têtes sont un peu tendues de coté, et leurs becs entrouverts laissent passer de drôles de gémissements, de drôles de grincements." J.M.G. Le Clezio ( 1980), Désert, Ed. Folio, Gallimard. and La Mer des Caraibes à La Playa del Carmen.

mardi 19 juillet 2011

Lonely look

"Mais c'est quoi cette obsession de Bice ? Ne pourrais-tu pas photographier autre chose ? C'était la question qu'il entendait continuellement, venant de ses amis et d'elle aussi. - Il ne s'agit pas simplement de Bice, répondait-il. C'est une question de méthode. Quelque soit la personne ou la chose, qu'on décide de photographier, on doit continuer à la photographier toujours, uniquement celle-là à toutes les heures du jour et de la nuit. La photographie n'a de sens que si elle épuise toutes les images possibles.Mais il ne disait pas ce qui lui tenait certainement le plus à coeur: saisir Bice dans la rue quand elle ne savait pas qu'il la voyait, la tenir sous le tir d'objectifs cachés, la photographier non seulement sans se faire voir, mais sans la voir, la surprendre telle qu'elle était en l'absence de son regard, de n'importe quel regard. Non qu'il voulut découvrir quelque chose en particulier; il n'était pas quelqu'un de jaloux dans le sens courant du terme. C'était une Bice invisible qu'il voulait posséder, une Bice absolument seule, une Bice dont la présence supposât sa propre absence et celle de tous les autres . Qu'on pût la définir ou pas comme de la jalousie, c'était en tous cas une passion difficile à supporter. Bice le quitta bientôt." Italo Calvino (1949), , L'aventure d'un photographe, in "Aventures", trad. fr. Ed. du Seuil, 1969. and Auguste Rodin, Torse de femme.

jeudi 7 juillet 2011

Sweet travel

"Je m'aperçois que, roulant vers Y., ce que je désire le plus ce n'est pas de trouver Y. au terme de mon voyage : je veux que Y. roule vers moi, voilà la réponse dont j'ai besoin, c'est-à-dire que j'ai besoin qu'elle sache que moi je roule vers elle mais dans le même temps j'ai besoin de savoir qu'elle roule vers moi. L'unique pensée qui me réconforte est également celle-là même qui me tourmente le plus : que si Y. roule en direction de A., elle aussi, chaque fois qu'elle verra les phares d'une auto qui roule vers B., se demandera si c'est moi qui roule vers elle, et elle désirera que ce soit moi, et ne pourra jamais en être sûre. Là, maintenant, deux voitures qui vont en sens opposé se sont trouvées pour une seconde flanc contre flanc, une vive lueur a illuminé les gouttes de pluie et le bruit des moteurs s'est fondu comme en un brusque souffle de vent : peut-être était-ce nous, ou si vous voulez il est certain que moi-même j'étais moi, si cela signifie quelque chose, et l'autre ce pouvait être elle, c'est à dire celle dont je voudrais que ce soit elle, son signe à elle où je veux la reconnaître, bien que ce soit précisément le signe même qui me la rend non reconnaissable.Rouler sur l'autoroute est la seule façon qui nous reste, à moi et à elle, pour exprimer ce que nous avons à nous dire, mais nous ne pouvons pas nous le communiquer ni non plus en recevoir communication aussi longtemps que nous roulons. Sans doute je me suis mis au volant pour arriver chez elle le plus vite possible; mais plus j'avance, plus je me rend compte que le moment de mon arrivée ne sera pas la véritable fin de mon voyage. Nos retrouvailles, avec tous les détails inessentiels que comporte une scène de retrouvailles, le minutieux filet de sensations, de significations, de souvenirs qui se déploierait devant moi- la pièce avec le philodendron, la lampe en opaline, les boucles d'oreille- et les choses que je dirais, certaines à coup sûr de travers, ou équivoques, et les choses qu'elle dirait à son tour de manière probablement déplacées ou qui du moins parfois ne seraient pas celles à quoi je m'attendais, et tout le déroulement d'imprévisibles conséquences que chaque geste ou chaque mot comporte, mettraient autour des choses que nous avons à nous dire, ou mieux que que nous voulons nous entendre dire, un nuage parasite tel que la communication déjà difficile, s'en trouverait encore plus dérangée, étranglée, ensevelie comme sous une avalanche de sable." Italo Calvino (1949), L'aventure d'un automobiliste, in "Aventures", trad. fr., Editions du Seuil, 1969. and Hans Hartung.

mercredi 6 juillet 2011

Freestyle

"Alors je nage ! Delia se laissa glisser hors du canot, s'en écarta; elle nageait dans ce lac outerrain et son corps semblait tantôt blanc (comme si cette lumière l'avait dépouillé de toute couleur propre), tantôt du même bleu que la nappe d'eau. Usnelli avait cessé de ramer; de nouveau, il retenait son souffle. Pour lui, l'amour de Delia, ç'avait toujours été cela: s'aventurer dans un monde au-delà de la parole, comme dans le miroir de cette grotte. Du reste, dans tous ces poèmes, il n'avait jamais écrit un vers d'amour: pas un seul. -Approche, fit Delia. En nageant, elle avait retiré le petit bout d'étoffe qui lui recouvrait la poitrine; elle le lança sur le canot. - Une seconde ! Elle défit aussi l'autre morceau de tissu, noué autour de ses hanches, et le tendit à Usnelli. Maintenant, elle était nue. On ne distinguait pas la peau plus claire des seins et des hanches, car il émanait de son corps tout entier une lueur bleutée, de méduse. Delia nageait sur le coté, avec des mouvements indolents, le visage (une expresion figée, un peu ironique, de statue) toujours au ras de l'eau; de temps en temps se dessinait la courbe d'une épaule ou la ligne douce du bras allongé. L'autre bras, avec avec des mouvements de caresse, couvrait et découvrait le sein dressé tendu à la pointe.. Les jambes battaient à peine l'eau, soutenant le ventre lisse que marquait le nombril, ainsi que sur le sable une empreinte légère, et comme l'étoile d'un fruit de mer. Les rayons du soleil, en se réflétant dans l'eau, flottaient autour d'elle, l'habillant et la dénudant tour à tour. De la nage, elle passa à des mouvements comme de danse; arrêtée entre deux eaux, souriant vers lui, Delia allongeait ses bras dans un rotation cajoleuse des épaules et des poignets; ou bien, par une brusque détente du genou, elle faisait jaillir son pied cambré, tel un petit poisson. Usnelli, dans le canot, ouvrait de grands yeux. Ce que la vie lui offrait à cet instant, c'était, il le comprenait bien, quelque chose qui n'est point donné à tous de regarder les yeux grands ouverts, pas plus que le centre aveuglant du soleil. Au coeur de ce soleil, le silence. Ce qui était renfermé en un pareil instant, rien jamais ne saurait le traduire; pas même un souvenir, sans doute." Italo Calvino (1949), L'aventure d'un poète, in "Aventures", trad. fr., Ed. du Seuil, 1969. and Claude Monet, Les nympheas.

lundi 4 juillet 2011

Disturbed books

"Aie ! Ils s'écartèrent. - C'est votre façon à vous de faire la conversation ? ironisa la dame. "Eh ! se dit précipitamment Amadeo, cette manière ne lui convient pas, donc trève de conversation, et je lis mon livre"; et déjà, il s'était jeté sur le paragraphe suivant. Cependant, il essayait de se mentir à lui-même: il n'était pas sans comprendre que, désormais, les choses étaient allées trop loin, qu'entre la baigneuse et lui une tension était née, qui ne pouvait plus être rompue; il comprenait également qu'il était le premier à ne point vouloir la rompre, étant donné qu'à présent il ne se sentait plus capable de retourner à la seule tension de la lecture, toute de repliement, d'intériorité. Ce qu'en revanche il pouvait chercher, c'était que la tension extérieure suivît, pour ainsi dire, un cours parallèle à l'autre : par ce biais, il n'aurait à sacrifier ni la dame ni le livre.Comme la dame s'était assise, le dos appuyé contre un pan de rocher, Amadeo vint s'asseoir près d'elle, lui passa un bras autour des épaules, gardant le livre ouvert sur ses genoux. Il se tourna vers elle, lui donna un baiser. Ils s'écartèrent, échangèrent un second baiser. Puis Amadeo baissa la tête et reprit sa lecture. Il entendait la poursuivre aussi longtemps qu'il le pourrait, cette lecture. Sa grande crainte était de ne pouvoir achever son roman: se lancer dans une aventure de plage, cela signifierait sans nul doute la fin de ces calmes heures de solitude, un rythme de vie différent qui boulverserait ses journées de vacances; or chacun sait que lorsqu'on est plongé à fond dans un livre, l'abandonner puis le reprendre, c'est perdre une bonne part du plaisir, on a oublié quantité de détails et l'acces devient plus difficile. " Italo Calvino (1949), L'aventure d'un lecteur, in "Aventures", trad. fr., Ed. du Seuil, 1969. and Porquerolles, Isola Mediterraneana

dimanche 22 mai 2011

Le vice consul

"- Venez avec nous maintenant, dit Anne Marie Stretter ... - Quelques fois nous allons au Blue Moon boire une bouteille de champagne, vous voulez bien ? - Comme vous voudrez ! - Oh je sais pas si j'ai bien envie d'aller au Blue Moon ce soir, dit-elle. Charles Rossett fait un effort mais n'arrive pas à cacher l'image du vice consul marchant le long du Gange, qui tombe sur les lépreux endormis, se relève en hurlant, sort de sa poche quelque chose d'effrayant... fuit, fuit. - Ecoutez ... dit Charles Rosset. - Non, il ne crie plus. Ils écoutent, ce ne sont pas des cris, c'est un chant de femme, ça vient du boulevard. A bien écouter on doit crier aussi mais beaucoup plus loin, bien au-delà du boulevard où devrait se trouver encore le vice consul. A bien écouter tout crie doucement mais loin, de l'autre coté du Gange ... - Ne vous en faites pas, il sera rentré maintenant. - Nous ne nous connaissons pas, dit Michael Richard. D'où vient-il ? Il n'habite pas Calcutta. Il y vient pour la voir, rester auprès d'elle. C'est près d'elle qu'il désire être. Il est un peu moins jeune qu'il n'aurait cru "... Marguerite Duras (1966), "Le vice consul", Ed. L'imaginaire, Gallimard. and Auguste Rodin, La valse.

vendredi 13 mai 2011

Silent remained

"Dans ce temps là encore obscur, Fénelon entendit parler de Mme Guyon qui a fait depuis tant de bruit dans le monde, qu'elle y est trop connue pour que je m'arrête à elle en particulier. Il la vit . Leur esprit se plut l'un à l'autre, leur sublime s'amalgama. Je ne sais s'ils s'entendirent bien clairement dans ce système et cette langue nouvelle qu'on vit éclore d'eux dans les suites; mais ils se le persuadèrent, et la liaison se forma entre eux. " (Saint Simon )

Tout est merveilleusement juste dans ce croquis :" leur sublime s'amalgama", " je ne sais s'ils s'entendirent bien clairement dans ce système et cette langue nouvelle ...", la remarque sur le trop de bruit que Jeanne fait ou qu'on fait autour d'elle, le soupçon de désinvolture sinon de mysoginie qui fait écrire à Saint Simon qu'il refuse de "s'arrêter à elle en particulier". Tout est merveilleusement juste, sauf peut-être le "il la vit". Car, à lire leur correspondance, c'est elle qui le vit et l'entraîna, pour s'y amalgamer, dans le sublime "... Julia Kristeva (1983), Un pur silence: la perfection de Madame Guyon in Histoires d'amour, Denoël. and P-M. Masson (1907), François Fenelon et Jeanne Guyon , Hachette ... and Edoli, via del Pellegrino.

jeudi 5 mai 2011

Neither

A NOURRICE. - Oh ! elle ne dit rien, monsieur ; mais elle pleure, elle pleure ; et alors elle se jette sur son lit, et puis elle se redresse, et appelle Tybalt ; et puis elle crie : Roméo ! et puis elle retombe.

- Il semble que ce nom, lancé par quelque fusil meurtrier, l'assassine, comme la main maudite qui répond à ce nom a assassiné son cousin !... Oh ! dis-moi, prêtre, dis-moi dans quelle vile partie de ce squelette est logé mon nom ; dis-le-moi, pour que je mette à sac ce hideux repaire ! (Il tire son poignard comme pour s'en happer la nourrice le lui arrache.) LAURENCE. - Retiens ta main désespérée ! Es-tu un homme ? ta forme crie que tu en es un ; mais tes larmes sont d'une femme, et ta sauvage action dénonce la furie déraisonnable d'une bête brute. ô femme disgracieuse qu'on croirait un homme, bête monstrueuse qu'on croirait homme et femme, tu m'as étonné !... Par notre saint ordre, je croyais ton caractère mieux trempé. Tu as tué Tybalt et tu veux te tuer ! tu veux tuer la femme qui ne respire que par toi, en assouvissant sur toi-même une haine damnée ! Pourquoi insultes-tu à la vie, au ciel et à la terre ? La vie, le ciel et la terre se sont tous trois réunis pour ton existence ; et tu veux renoncer à tous trois ! Fi ! fi ! tu fais honte à ta beauté, à ton amour à ton esprit. Usurier tu regorges de tous les biens, et tu ne les emploies pas à ce légitime usage qui ferait honneur à ta beauté, à ton amour à ton esprit. Ta noble beauté n'est qu'une image de cire, dépourvue d'énergie vide ; ton amour ce tendre engagement, n'est qu'un misérable parjure, qui tue celle que tu avais fait voeu de chérir ; ton esprit, cet ornement de la beauté et de l'amour, n'en est chez toi que le guide égaré : comme la poudre dans la calebasse d'un soldat maladroit, il prend feu par ta propre ignorance et te mutile au lieu de te défendre. Allons, relève-toi, l'homme ! Elle vit, ta Juliette, cette chère Juliette pour qui tu mourais tout à l'heure : n'es-tu pas heureux ? Tybalt voulait t'égorger, mais tu as tué Tybalt : n'es-tu pas heureux encore ? La loi qui te menaçait de la mort devient ton amie et change la sentence en exil : n'es-tu pas heureux toujours ? Les bénédictions pleuvent sur ta tête, la fortune te courtise sous ses plus beaux atours ; mais toi, maussade comme une fille mal élevée, tu fais la moue au bonheur et à l'amour. Prends garde, prends garde, c'est ainsi qu'on meurt misérable. Allons, rends-toi près de ta bien-aimée, comme il a été convenu : monte dans sa chambre et va la consoler ; mais surtout quitte-la avant la fin de la nuit, car alors tu ne pourrais plus gagner Mantoue ; et c'est là que tu dois vivre jusqu'à ce que nous trouvions le moment favorable pour proclamer ton mariage, réconcilier vos familles, obtenir le pardon du prince et te rappeler ici. Tu reviendras alors plus heureux un million de fois que tu n'auras été désolé au départ... Va en avant, nourrice, recommande-moi à ta maîtresse, et dis-lui de faire coucher son monde de bonne heure ; le chagrin dont tous sont accablés les disposera vite au repos... Roméo te suit." William Shakespeare (1599), Romeo et Juliette , Scène III. and Les amants de Verone.

lundi 2 mai 2011

My only love, my only hate

"On assimile souvent le couple Roméo et Juliette à Tristan et Iseult, pour y voir la démonstration d'un amour contrarié par les règles sociales; pour souligner comment le couple est maudit et détruit par la chrétienté qui étouffe la passion au sein du mariage; pour y chercher la révélation de la mort qui domine au coeur de la jouissance amoureuse. Le texte Shakespearien comporte, avec tout cela, un élément plus corrosif encore, que son art de l'ambiguité et du renversement des valeurs manie avec une magie insidueuse au sein même de la plus intense glorification amoureuse. Qu'à travers le sexe c'est la haine qui triomphe : voilà ce qui saute aux yeux et aux oreilles à travers les premières pages du texte ... On est déjà préparé à la réplique de Roméo qui qualifiera l'amour de "folie la plus raisonnable" (I, 1, 184), voire de "brutal, rude, violent ! Il écorche comme l'épine" ( I, IV, 25-26) ... Mais c'est Juliette qui trouve les formules les plus intenses pour indiquer que cet amour est étayé par la haine ... Mais plus profondément, c'est d'une haine à l'origine même de l'élan amoureux qu'il semble s'agir. D'une haine préexistant au voile de l'idéalisation amoureuse. Notons que c'est une femme, Juliette, qui en a l'inconscience la plus immédiate, la lucidité la plus somnanbulique ... C'est Juliette elle-même qui formule franchement : "My only love sprung from my only hate" ( I, V , 136).
Julia Kristeva (1983), Histoire d'amour, Denoël. and James Pradier, Satyre et Bacchante, Musée des Beaux Arts , Lille.

jeudi 28 avril 2011

Seventh travel

"Vers la fin février, Freud avait découvert les premiers symptômes de sa tumeur dans la cavité buccale. Début avril, il pria son médecin, Felix Deutsch, d'examiner sa bouche. Bien que Deutsch soupçonnât un cancer, il diagnostiqua une "leucoplasie" pour rassurer Freud. Le 28 avril, Freud consulta l'ORL Markus Hajek, beau-frère d'Arthur Schnitzler, ainsi que le dermatologue Maximilien Steiner, qui l'opéra dans sa clinique. C'est dans ce climat tendu que mourut le petit fils de Freud, Heinele, fils de sa fille Sophie, décédée elle-même en 1920. Freud ne se remetrait jamais de cette perte .... Le 1° septembre, Freud se rendit avec Anna à Rome, via Verone. Ils logèrent de nouveau à l'hotel Eden. Pendant ce temps sa femme se trouvait à Merano, dans le Tyrol du Sud. Ce fut son dernier voyage de vacances, le septième séjour à Rome. Peu après son arrivée il écrivit à Lou Andreas -Salomé : " Me voici donc de nouveau à Rome, et je sens que cela va me faire du bien. C'est ici, seulement, que je me rends compte combien ma petite fille est d'exellente compagnie."
Malheureusement, seules quelques rares lettres écrites à l'occasion de ce voyage ont été conservées. En revanche nous disposons d'une sorte d'agenda de voyage dans lequel Freud et également Anna, pendant les trois derniers jours ont noté en quelques mots ce qu'ils entreprenaient. Il s'agit donc du seul séjour dont nous connaissions le déroulement précis au jour le jour." Sigmund Freud, Correspondance de voyage, 1895-1923, in "Notre coeur tend vers le sud", trad. Jean-Claude Capèle, Paris, Fayard, 2002. and to hotel Eden Rome

dimanche 24 avril 2011

Sorry

"Ta carte m'a fait grand plaisir. J'imagine bien que la petite armoire a été pour toi une surprise. C'est le cadeau que je voulais te rapporter. Un petit cadre de miroir doit être arrivé aussi. J'en ai également déjà assez de voyager et pense partir d'ici jeudi soir pour arriver samedi matin, cela ne dépend plus que de quelques petits achats pour lesquels je suis encore en pourparlers. Pense à ma joie en rencontrant aujourd'hui au Vatican, après une ausi longue solitude, le visage connu d'un être cher; mais la reconnaissance a été unilatérale, car il s'agissait de Gradiva accrochée tout en haut d'un mur. Le temps devient toujours plus magnifique. La ville toujours plus splendide. J'ai donné hier mon linge à laver. Je recommencerai à travailler le lundi 25. Tendresses. Ton Sigmund." Carte-lettre à Martha Freud (Rome 24.09.07), trad. Anne Berman et Jean-Pierre Grossein, publiée in Freud (1960a), pp 286-287, Gallimard. and Chiesa di Santa Maria del Trastevere.

vendredi 22 avril 2011

Extremity

"Ils s'aimèrent parmi les brebis, et Rimbaud tenait sa jambe amputée tout près de lui. Quand ils se furent aimés, la femme dit: reste. Je ne peux pas, répondit Rimbaud, je dois partir, viens dehors avec moi, pour voir surgir l'aube. Quand ils sortirent dans la cour, il faisait déjà clair. Toi, tu n'entends pas ces cris, dit Rimbaud, mais moi je les entends, ils viennent de Paris et ils m'appellent, c'est la liberté, c'est l'appel du lointain. La femme était encore nue, sous l'amandier. Je te laisse ma jambe, dit Rimbaud, prends-en soin.Et il se dirigea vers la route principale. Quelle merveille, à présent il ne boitait plus. Il marchait comme s'il avait eu deux jambes. La route résonnait sous ses sabots. L'aube était rouge à l'horizon. Et lui il chantait, et il était heureux."
Antonio Tabucchi (1992), Sogni di sogni, "Rêve d'Arthur Rimbaud", Gallimard, 2007. and Alberto Giacometti (1901-1966), "Femme" in Exposition de la Fondation Marguerite et Aimé Maeght -Art Moderne et Contemporain , septembre 2010.

lundi 21 mars 2011

Anniversario

Deux mots, "Mundus Novus", inscrits en tête de sa lettre par lui-même ou par cet éditeur inconnu, et "Quatres Voyages", qu'il les ait ou non effectués, l'ont fait entrer dans le port de l'immortalité. Son nom ne peut plus être éffacé du livre le plus glorieux de l'humanité et si l'on voulait définir au mieux son apport à l'histoire de la connaissance de notre monde, peut-être faudrait-il enoncer ce paradoxe que Colomb a découvert l'Amérique mais ne l'a pas reconnue; tandis que Amerigo Vespucci ne l'a pas découverte mais l'a le premier reconnue pour ce qu'elle est: l'Amérique, un nouveau continent. Cet unique mérite reste rattaché à sa vie, à son nom. Car jamais un acte n'est décisif par lui-même; ce qui compte, c'est la connaissance de cet acte, et ses conséquences. Celui qui le raconte et l'explique devient souvent plus important pour la postérité que celui en est l'auteur et dans le jeu imprévisible des forces de l'Histoire, la plus légère impulsion peut produire les plus énormes effets. Celui qui attend de l'Histoire qu'elle soit juste, exige plus qu'elle n'ait d'humeur à donner : il arrive, qu'elle attribue l'exploit et l'immortalité à l'homme simple, moyen, et rejette les meilleurs, les plus vaillants et les plus sages, dans le ténèbres de l'anonymat." Stefan Zweig (1944), Amerigo, in Belfond, 1996. and International Psychanalitic Association ' life.

mardi 15 mars 2011

Eternity

"Il avait l'air au-dessus de tout, il avait l'air intouchable. Lui et sa musique: le reste ça ne comptait pas. "Tu ne dois pas t'imaginer que je suis malheureux : je ne le serai plus jamais." Ca m'en a laissé baba, cette phrase. Il n'avait pas l'air du gars qui plaisante, en disant ça. L'air de celui qui sait très bien où il va. Et qui y arrivera. C'était comme quand il s'asseyait au piano et qu'il commençait à jouer. Aucune hésitation dans ses mains. Ces notes, les touches semblaient les attendre depuis toujours, comme si elles n'avaient existé que pour ces notes là, et uniquement pour elles. On avait l'impression qu'il inventait dans l'instant: mais ces notes, quelque part dans sa tête, elles étaient écrites depuis toujours. Je sais maintenant que ce jour là Novecento avait décidé qu'il allait s'asseoir devant les touches blanches et noires de sa vie, et commencer à jouer une musique, absurbe et géniale, compliquée mais superbe, la plus grande de toutes. Et danser sur cette musique ce qu'il lui resterait d'années. Et ne plus jamais être malheureux." Alessandro Baricco (1994), Novecento:pianiste, Un monologue, trad. fr., Folio, Paris, 2006. and Brigitte Engerer au piano, 2009.

samedi 5 mars 2011

Immaginarsi

" Era difficile capire cosa mai potesse saperne lui di chiese, e di neve, e di tigri e ... voglio dire non c'era mai sceso, da quella nave, proprio mai, non era una palla, era tutto vero. Mai sceso. Eppure era come si le avesse viste, tutte quelle cose. Novecento era uno che se tu gli dicevi "Una volta son stato a Parigi", lui ti chiedeva se avevi visto i giardini tal dei tali, e se avevi mangiato in quel dato posto, sapeva tutto, ti diceva "Quello che a me piace, laggiù, è aspettare il tramonto andando avanti e indietro sul Pont Neuf, e quando passano le chiatte, fermami e guardarle da sopra, e salutare con la mano." "Novecento, ci sei mai stato a Parigi, tu ?" - "No" -"E allora." - "Cioè ... si." - "Si cosa ?" - "Parigi !" Potevi pensare che era matto. Ma non era cosi semplice ... Il mondo, magari, non l'aveva visto mai. Ma erano ventisette anni che il mondo passava su quella nave: ed erano ventisette anni che lui, su quella nave lo spiava. E gli rubava l'anima. In questo era un genio, niente da dire. Sapeva ascoltare. E sapeva leggere. Non i libri, quelli son buoni tutti, sapeva leggere la gente. I segni che la gente si porta addosso: posti, rumori, odori, la loro terra, la loro storia ... Tutta scritta, addosso. Lui leggeva, e con cura infinita, catalogava, sistemava, ordinava ..." Alessandro Baricco (1994), Novecento, Un monologo, Ed. Giangiacomo Feltrinelli, Milan. and Paris' Café de Flore.

mardi 1 mars 2011

Originally

"Ce n'est pas par hasard que mon père, pour désigner ces maisons de passage africaines, utilise le mot très mauricien de "campement". Si ce paysage le requiert, s'il fait battre mon coeur aussi, c'est qu'il pourrait être à Maurice, à la baie de tamarin, par exemple, ou bien au cap Malheureux, où mon père allait parfois en excursion dans son enfance.Peut-être a-t-il cru, au moment où il arrivait, qu'il allait retrouver quelque chose de l'innocence perdue, le souvenir de cette île que les circonstances avaient arrachées à son coeur ? Comment n'y aurait-il pas pensé ? C'était bien la même terre rouge, le même ciel, le même vent constant de la mer, et partout, sur les routes, dans les villages, les mêmes visages, les mêmes rires d'enfants, la même insouciance nonchalente. Une terre originelle, en quelque sorte, où le temps aurait fait marche arrière, aurait détricoté la trame d'erreurs et de trahisons." Jean Marie Gustave Le Clezio (2004 ), L'Africain, Mercure de France. and the house of Ombline Panon Desbassayns in St Gilles les Hauts, La Réunion .

lundi 7 février 2011

Cometa fredda

"Et tandis que nos paroles se faisaient plus solides d'amour, la lune était dans son dernier quartier et à sa place brillait la lumièe tranchante d'une comète montée dans le ciel d'Israël. Les bergers étaient inquiets et les bêtes effrayées par cette lumière froide sortie du fond du puits du firmament. Elle faisait pleurer en la regardant.Les bergers veillaient à tour de rôle la nuit. Leurs voix s'appelaient, entonnaient des chants autour du feu pour calmer les bêtes apeurées. Iosef n'aimait pas la nouveauté de la comète, elle était pour lui comme le recensement et l'occupation militaire. J'essayais de le faire changer d'idée :" Elle est en voyage comme nous, elle nous aide au cours de ces nuits qui manquent de lune." Iosef répondait avec un léger sourire et faisait oui de la tête. Un homme qui change d'avis pour être d'accord avec une femme lui donne la plus belle preuve d'amour." Erri De Luca (2006), Au nom de la mère, trad. de l'italien, Gallimard. and Soleil au sommet des pistes, Auron - Station du mercantour, 06660.