lundi 2 mai 2011

My only love, my only hate

"On assimile souvent le couple Roméo et Juliette à Tristan et Iseult, pour y voir la démonstration d'un amour contrarié par les règles sociales; pour souligner comment le couple est maudit et détruit par la chrétienté qui étouffe la passion au sein du mariage; pour y chercher la révélation de la mort qui domine au coeur de la jouissance amoureuse. Le texte Shakespearien comporte, avec tout cela, un élément plus corrosif encore, que son art de l'ambiguité et du renversement des valeurs manie avec une magie insidueuse au sein même de la plus intense glorification amoureuse. Qu'à travers le sexe c'est la haine qui triomphe : voilà ce qui saute aux yeux et aux oreilles à travers les premières pages du texte ... On est déjà préparé à la réplique de Roméo qui qualifiera l'amour de "folie la plus raisonnable" (I, 1, 184), voire de "brutal, rude, violent ! Il écorche comme l'épine" ( I, IV, 25-26) ... Mais c'est Juliette qui trouve les formules les plus intenses pour indiquer que cet amour est étayé par la haine ... Mais plus profondément, c'est d'une haine à l'origine même de l'élan amoureux qu'il semble s'agir. D'une haine préexistant au voile de l'idéalisation amoureuse. Notons que c'est une femme, Juliette, qui en a l'inconscience la plus immédiate, la lucidité la plus somnanbulique ... C'est Juliette elle-même qui formule franchement : "My only love sprung from my only hate" ( I, V , 136).
Julia Kristeva (1983), Histoire d'amour, Denoël. and James Pradier, Satyre et Bacchante, Musée des Beaux Arts , Lille.