dimanche 13 janvier 2013

Temporalità

"Vendredi.
Nelson, mon mari bien aimé. Paris s'ensinistre de jour en jour - sombre, froid, humide, vide. Peut-être que si je possédais un logis digne de ce nom, je me sentirais moins transie, je ne sais pas. Le printemps paraît si éloigné. Souffrir du désir de vous, j'y consens, mais pas à cette morosité du coeur. Bon inutile de gémir. Comme vous disiez, quand en enfer on brame après un verre d'eau, on ne l'obtient pas ...
Samedi. 
Journée bleue et ensoleillée, air doux et tiède, j'ai fait une agréable petite marche. Je regrette de partir, ici je pouvais travailler, lire et dormir à ma guise.  Ces six semaines se sont envolées à tire-d'aile. Mais je dois rentrer. Au revoir chéri, je m'en vais travailler encore un peu. Votre amoureuse-de-Nelson ...
Dimanche.
Mon très cher mari, ici comme à  Chicago, c'est la froidure, je suis gelée, pourtant j'ai eu une plaisante matinée. Pour consulter des ouvrages d'ethnologie dans une bibliothèque située au Trocadéro,  fort loin de Saint-Germain,  j'ai traversé en taxi Paris plongé dans le brouillard, la tour Eiffel disparaissait dans un ciel rouge, c'était beau ..."
Simone de Beauvoir (1948), Lettres à Nelson Algren, 9 - 20 janvier 1948, Gallimard, 1997. and Le Grand Palais, Paris.