mardi 9 décembre 2014

Fiamma blue

"Aussi inattendu que cela puisse paraître aujourd'hui, je dois au Manitoba d'être née et d'avoir grandi dans un milieu de langue française, d'une exceptionnelle ferveur.sans doute était-ce la ferveur d'un frêle groupe fraternellement resserré pour faire front commun dans sa fragilité numérique et son idéal menacé. Peut-être, comme la flamme de la mèche donnant au maximum, cet enthousiasme ne pouvait-il indéfiniment se maintenir. Mais sa clarté brilla assez, en tout cas, pour enflammer certaines vies ...
Bird's Hill, c'est peut-être mon plus admirable souvenir du Manitoba; au bord de l'eau disparue, ces fossiles parmi les plus anciens; ces rêves de jeunesse, cette confiance inaltérable en l'horizon lointain. Vous savez combien il se joue de nous, cet horizon du Manitoba. Que de fois, enfant, je me suis mise en route pour l'atteindre ! On croit toujours que l'on est à la veille d'y arriver, et c'est pour s'apercevoir qu'il s'est déplacé légèrement, qu'il a de nouveau pris un peu de distance ... 
Avec l'âge, nous vient peu à peu du découragement et l'idée qu'il y a là une ruse suprême pour nous tirer en avant et que jamais nous n'atteindrons l'horizon parfait dans sa courbe."   Gabrielle Roy (1978, 1982 ) Fragiles lumières de la terre, Mon héritage du Manitoba, Coll. Québec 10/10, Ed. Stanké, Montréal. and  Le Cirque du Soleil, Mai 2014, Montréal. 

lundi 8 décembre 2014

Luce di terra

"Là où l'on retourne écouter le vent comme en son enfance, c'est la patrie. Ce l'est aussi assurément là où l'on a une sépulture à soigner. Maintenant c'est mon tour ayant choisi de vivre au Québec un peu à cause de l'amour que m'en a communiqué ma mère, de revenir au Manitoba pour soigner sa sépulture. Et aussi pour écouter le vent de mon enfance.
Mais bien avant le temps, pour ma mère, des sépultures, avant même le mariage et les enfants, au temps où pour elle l'amour, comme le bel horizon prometteur du Manitoba, lui proposait sans doute les plus séduisants mirages, un homme, parti lui aussi du Québec, immigré aux Etats Unis, s'y étant forgé à travers les emplois les plus divers une expérience vaste comme la vie, un self-made man dirait-on aujourd'hui, maintenant à la veille de rentrer au pays à la frontière du Manitoba, d'étape en étape, cheminait déjà à son insu depuis longtemps vers elle par les mystérieuses voies de la destinée humaine.
Ils se rencontrèrent sans doute à l'occasion d'une de ces veillées de compatriotes toute bruissante de chants, de souvenirs et de conversations roulant sur le Québec. Peut-être, dès cette première soirée mon père, qui était doué d'une belle voix émouvante, charma-t-il la jeune fille en interprétant l'une ou l'autre de ces naïves ballades que je l'ai moi-même beaucoup plus tard entendu chanter : "Il était un petit navire" et "Un canadien errant", douces chansons tristes qu'il rendait avec un accent de sincérité troublante, comme si elles étaient un aveu à peine voilé de son propre déracinement." Gabrielle Roy (1978, 1982) Fragiles lumières de la terre, Ecrits divers, Collection Québec 10/10, Ed. Stanké, Montréal. and Québec city, Canada.

samedi 18 octobre 2014

Finita o infinita

"Ce sont aussi "les dangers de l'analyse" qui menacent non pas certes le partenaire passif, mais le partenaire actif de la situation analytique; on ne devrait pas se dispenser de l'en avertir. De quelle manière, cela ne fait aucun doute. Chaque analyste devrait périodiquement, à peu près tous les cinq ans, se faire de nouveau l'objet de l'analyse sans avoir à rougir de cette démarche. 
                                
Cela signifierait donc que la propre analyse de tâche finie deviendrait infinie, et que ce n'est pas seulement le cas de l'analyse thérapeutique destinée aux malades. C'est ici le moment de dissiper un malentendu. Je n'ai pas l'intention de prétendre que l'analyse en général est un travail qui n'a pas de conclusion ... On ne se donnera pas comme but de poncer toutes les particularités humaines au profit d'une normalité schématique, ni d'exiger que le sujet "analysé à fond" ne ressente plus aucune passion, ni qu'il ne doive plus développer de conflits internes. L'analyse doit créer pour les fonctions du Moi les conditions psychologiques les plus favorables; c'est avec cela que sa tâche serait accomplie."   Sigmund Freud (1937), "L'analyse finie et l'analyse infinie", trad. 1975, Standard Edition. and Palazzo Farnese, Roma.
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jeudi 16 octobre 2014

Montecitorio

Lundi 2 septembre 1901, à 9h du soir, carte postale adressée à Martha Freud. 
"Arrivé à Rome après 2h, me suis changé à 3h après le bain et suis devenu romain. Il est indubitable que nous resterons. C'est incroyable que nous ne soyons pas venus ici il y a des années. Certes il a fait chaud, mais c'était tout à fait supportable, et peu après, il y a eu un vent frais. 
La journée de voyage a été nuageuse jusqu'à 2h. A l'hôtel Milano (8), nous avons  une belle chambre au troisième étage pour 8 L (4 L par personne), lumière électrique. Je ne crois pas trop au danger de la malaria. Bien des choses, ici, sont d'un agrément incomparable, on ne peut pas parler des merveilles du monde sur une carte postale. Rien trouvé à la poste. Affectueusement". Sigm
(8) L'hôtel se trouvait piazza di Montecitorio à quelques centaines de mètres du Panthéon et de piazza Colonna.  Sigmund Freud, "Notre coeur tend vers le sud", Correspondances de voyage, 1895-1923, Ed. Fayard, 2005. and piazza di Montecitorio e piazza Colonna, Roma 

dimanche 16 mars 2014

Sogno nel sogno

" Le travail de rêve se doit de soutenir ce déni de la réalité perceptive non représentable, la réalité de la castration rencontrée sous toutes ses variations ...
Après avoir reconnu la fonction de cette néo-production, Freud pourra écrire en 1938 que "Le rêve est une psychose". L'identité de perception, telle que décrite et formulée en 1900, s'avère être une tentative pour soutenir un déni de perception par le biais de la catégorie  psychique qu'est le perceptif. L'hallucinatoire devient du perceptif eu égard à cette mission de contrer les sensations endopsychiques liées à la régressivité pulsionnelle. Quand le perceptif est en difficulté, la présentification prend la forme du redoublement, de la multiplication, du médusage. Cette figuration sera reconnue par Freud après 1920 comme la solution anti-traumatique par excellence. Déjà avec les rêves de la névrose traumatique, Freud avait perçu le rôle de la répétition, et surtout de la compulsion. Mais en 1922, avec "La Tête de Méduse", il perçoit en la multiplication de la représentation d'un objet une forme de la présentation de la compulsion. Après sa description d'une compulsion à l'association (1895), et sa remarque de 1919 : "La répétition temporelle d'un acte devient régulièrement dans le rêve la compulsion de représentation",. En 1922 il relie ces remarques sur la compulsion à la différence des sexes. La significativité de la réduplication en abîme agie dans les rêves- dormir dans un rêve et rêver dans un rêve - se trouve ainsi banalisée".  B Chervet (2006), Le rêve dans le rêve, in Regards sur le rêve, Libres cahiers pour la psychanalyse, n°14, ed. In Press.