lundi 26 octobre 2009

Holding six

"J'étais extremment angoissée pour D.W., qui était lui-même très dépressif depuis sa crise cardiaque. C'était comme dans mon enfance, l'année où à l'école, j'avais des ennuis dus à une erreur sur mon âge, et où simultanément, à la maison, j'étais angoissée à cause de la grossesse de ma mère. Je ne crois pas que nous parlions du tout de sa dépression mais j'en étais consciente (comme avec Miss Sharpe) parce qu'il avait changé physiquement et que tout analysant est sensible à ce qui se passe chez son analyste. J'avais toujours peur qu'il n'aît une troisième attaque et qu'il ne meure, ce qui aurait été fatal pour moi. Un jour à l'heure de ma séance, j'attendais qu'on me dise qu'il était prêt à me recevoir. J'allais plusieurs fois demander à la secrétaire:" Il n'est toujours pas là ?" Finalement après trois quarts d'heure, je suis rentrée à son cabinet, m'attendant à le trouver malade ou mort, pour découvrir qu'il n'était qu'endormi sur le divan et n'avait pas entendu la sonnette ! Ainsi j'étais sauvée et cette fois encore, on m'avait laissée connaître et suivre mon impulsion ... J'appris ultérieurement qu'il était angoissé parce qu'il envisageait de rompre son premier mariage - une décision qu'il ne prenait pas à la legère - ce qui avait provoqué sa deuxième crise cardiaque et sa dépression. Finalement il me parla de son divorce et de son prochain remariage, de peur que je ne l'apprenne par quelqu'un d'autre ou par la presse. J'étais très jalouse, et tout un matériel oedipien put être élaboré qui, cependant, resta comme un morceau isolé qu'il faudrait rattacher au reste plus tard."
Margareth I. Little, in Mon analyse avec Winnicott, id. and Egon Schiele (1890-1918), Madre cieca (post-partum depression).

samedi 24 octobre 2009

Holding five

"Pour moi, D.Winnicott était essentiellement une personne véridique, qui attachait de l'mportance aux "bonnes manières". C'était quelqu'un qui respectait chaque individu, patient ou collègue, tout en étant capable de faire ouvertement ses critiques. Exiger des "associations" ou infliger une "interprétation" aurait fait partie des "mauvaises manières" et aurait été d'ailleurs parfaitement inutile. Il était aussi honnête qu'on peut l'être, faisait cas des observations et répondait honnêtement aux questions, à moins qu'il ne faille protéger quelqu'un, auquel cas il tenait à ce que l'on sache quand sa réponse n'était pas tout à fait vraie et pourquoi. Il répondait aux questions directement et au premier degré, ce n'est qu'après qu'il se demandait (seul ou souvent avec le patient) pourquoi la question était posée. Pourquoi à ce moment là ? Et quelle angoisse inconsciente y avait-il derrière ? C'était moi qui travaillais à mon propre rythme, c'était lui qui s'y adaptait. S'il lui arriva d'exercer une pression, c'était parce que les circonstances - imprévues et externes - l'exigeaient. Ceci était très important pour moi. C'est ce qui me permettait d'être moi-même, alors qu'auparavant, tour à tour poussée puis retenue, je fonctionnais avec un rythme et des revirements qui n'étaient pas les miens." Margareth I. Little, Mon analyse avec Winnicott, in Des Etats limites, Ed. des femmes, 2005. and Pierre Bonnard, La baignoire (Le divan).

lundi 19 octobre 2009

Holding four

"Pendant une de mes premières séances avec D.W., je me sentais complétement désespérée, persuadée que je n'arriverais jamais à lui faire comprendre quoi que ce soit. J'arpentai la pièce en essayant de trouver un moyen. J'envisageai de me jeter par la fenêtre mais je savais qu'il m'en empêcherait. Puis je pensais à jeter tous ses livres dehors mais finalement je m'attaquai à un grand vase de lilas blancs que je brisai et pietinai. Il sortit de la pièce à la vitesse de l'éclair mais revint juste avant la fin de la séance. Il me trouva en train de tout nettoyer et dit:"J'aurais dû m'attendre à ce que vous le fassiez (nettoyer? briser?) mais plus tard". Le jour suivant le vase et les lilas étaient remplacés par leur réplique exacte et, quelques jours après, il m'expliqua que j'avais détruit quelque chose à quoi il tenait beaucoup." ...
Margareth I. Little, "My analysis with Winnicott". in Des Etats Limites, Ed des femmes, 2005. and Pierre Bonnard, La salle à manger, (18671947). And a profile of peace for all .

vendredi 16 octobre 2009

Holding three

" C'est ainsi que, treize ans après avoir demandé une aide psychiatrique pour la première fois, et à l'âge de quarante-huit ans je vins trouver Donald Winnicott. Je regrette de ne pouvoir faire un récit clair, cohérent et détaillé de ce que j'ai vécu avec lui. Je ne peux évoquer qu'une partie de ce qui s'est passé. Je l'avais déjà rencontré. J'assistais à ma première réunion scientifique organisée par la Société Britannique de Psychanalyse, dans le bruit des bombes qui tombaient toutes les quelques minutes, et des gens qui se jetaient par terre en entendant le fracas. Au beau milieu de la discussion, quelqu'un qui, je l'appris plus tard, était D.W., se leva et dit:"J'aimerais attirer votre attention sur le fait que nous sommes en plein raid aérien" et se rassit. Personne ne releva la remarque et la réunion se poursuivit comme avant. Je l'entendis prendre la parole ou présenter des communications dans d'autres réunions. Puis en 1945, à la fin de la soirée où j'avais lu ma propre communication, intitulée "L'Errante: Notes sur une patiente paranoïde." D.W., qui n'avait pas pris part à la discussion, vint me trouver et me demanda si je voulais prendre un enfant en traitement. J'étais ravie qu'il m'ait demandé ça à moi mais, à regret, je dis: "Non". Je venais de finir une analyse avec un enfant avec l'intention de me former à l'analyse d'enfants, formation que je n'ai jamais achevée. Cette analyse avait provoqué en moi une angoisse énorme et je n'étais pas contente de la façon dont j'y avais mis fin. J'étais en pleine ébullition à cause de ça, à cause de la mort de mon père et de tout ce qui s'était passé autour, et je ne pouvais envisager, à ce moment précis, de m'occuper d'un enfant, mais j'en laissais la possibilité ouverte pour l'avenir. Quand j'entendis D.W. lire ses articles: "La réparation en fonction de la défense maternelle organisée contre la dépression" (1948) et "Souvenirs de naissance, traumatisme de naissance et angoisse" (1949), je sentis que c'était quelqu'un qui pourrait vraiment m'aider". Margareth I. Little, Mon analyse avec Winnicott, in Des Etats Limites" Ed. des femmes, 2005. and Bartolomeo Veneto (1502-1531), Flora, Ideal portrait of a woman, Stâdel Museum.

mercredi 14 octobre 2009

Holding two

"Il était évident que je faisais un transfert sur Ella Sharpe, un certain transfert, supposé être une névrose de transfert, ce qu'il était en partie. Mon hostilité envers elle s'était irrémédiablement figée parcequ'elle avait été incapable de voir la vraie nature de mes angoisses. Mais il y avait ambivalence, les éléments positifs étaient déclenchés par le comportement différent qu'elle adoptait envers moi dès que je n'étais plus sur le divan - comme elle le décrit (1930) - et qu'elle me traitait en "invitée". Elle devenait alors très gentille et chaleureuse, amicale et généreuse, reproduisant la situation clivée indiquée par Freud (1913). Ce qui me faisait retrouver exactement l'ambivalence et la confusion dont j'avais fait l'expérience avec ma mère, de telle sorte que dans mes secteurs psychotiques, Miss Sharpe devenait identique à ("identical with") ma mère (Little, 1959), qui n'avait pas été capable de fournir un environnement où l'on était en sécurité; le but de Miss Sharpe, c'était de fournir un environnement où on le serait, même si l'on était sexuel ou hostile. J'étais hostile et rebelle mais je ne me sentais pas en sécurité; je devins soumise et dépendante d'elle comme je l'avais été avec ma mère depuis ma toute petite enfance. Et mes rêves de lutte, de confusion et de fragmentation furent alors interprétés comme étant des fantasmes de coït violent et des désirs refoulés d'avoir des relations sexuelles avec mon père et de détruire ma mère ... L'image d'ensemble de mon analyse avec Miss Sharpe, c'est celle d'une lutte constante entre nous : elle, qui s'obstinait à interpréter ce que je disais en termes de conflit intrapsychique lié à la sexualité infantile; et moi, qui essayais de lui faire comprendre que mes problèmes réels étaient liés aux notions d'existence et d'identité: je ne savais pas ce que "moi-même" était." Margareth I. Little, in Des Etats Limites, Ed. des femmes, 2005. and Picasso/Delacroix : Femmes d'Alger (1954-1955), Musée du Louvre, oct. 2008 - fev. 2009.

lundi 12 octobre 2009

Holding one

"Avec le temps, moins de personnes durent être traitées pour des maladies névrotiques et davantage pour des angoisses de type psychotique, bien moins facilement curables, même si ces patients n'étaient pas nécessairement invalidés ou hospitalisés; ceci entraîna des changements tant dans les modes de la pensée psychanalytique que dans sa technique. Winnicott, en poursuivant ce qu'il avait appris de Mélanie Klein et en appliquant ce que lui avait enseigné une longue pratique avec les nourrissons, des enfants et leurs parents, réussit à guérir de nombreux patients dont les angoisses étaient de type psychotique. Et ses travaux, à leur tour, parce qu'ils font voir un visage de la psychanalyse plus humaine que celui montré habituellement, ont suscité angoisse et polémique. Il y a un réel intérêt pour ses travaux, un réel désir de les connaître et de les comprendre. Il y a cependant aussi des critiques - tant amicales qu'hostiles, et souvent mal informées - et une curiosité et un voyeurisme francs. On connaît bien aujourd'hui le travail qu'a accompli Winnicott avec les enfants. Il écrivait systématiquement et parlait librement de son travail, et nombreux sont ceux qui ont pu le voir en action à Paddington Green où dans l'une de ses autres cliniques. Il utilisait la "technique standard" (1962) pour traiter les psychonévroses chez les adultes, il analysait donc la névrose de transfert et étudiait le complexe d'Oedipe et le développement du Surmoi."
Margareth I. Little, "Winnicott's Working in Areas Where Psychotic Anxieties Predominance - a Personal Record", journal of Free Association, n°3, London, 1985 / in tr. fr. Nouvelle revue de Psychanalyse, n°33, Printemps 1986/ in Mon analyse avec Winnicott, Des Etats Limites, Ed. des femmes, 2005 .... and Sun ligth behond the sea !

samedi 3 octobre 2009

Elegy

"Ta bonne lettre m'est arrivée hier. Oui, les deux Elégies sont là, mais de vive voix, je pourrai te dire qu'elles ne représentent qu'un petit fragment, trop vite interrompu, de ce qui était alors en mon pouvoir. Dans des conditions et avec des forces pareilles à celles dont je disposais en commançant Le livre d'heures: que n'aurais-je pu soulever. Nous revoir seulement, chère Lou, c'est maintenant mon grand espoir. Je me redis souvent que tu es le seul lien qui me rattache au monde humain, en toi seule il est tourné vers moi, me devine, me transmet son souffle; partout ailleurs, je passe dans son dos sans pouvoir me faire reconnaître de lui. Dis mes bonnes amitiés à Beer-Hofmann (et à Kassner) et console moi dans ton coeur. Ton Rainer." Correspondance de Rainer Maria Rilke avec Lou Andréas Salomé à Vienne, Ronda, Jour des Rois, 1913, in Briefwechsel, Insel Verlag, Frankfurt am Main, 1975. tr. fr. Ed. Gallimard, 1980-1985. and Pieter Bruegel the Elder , Netherlandish, (1525-1569) The Hunters in the Snow , in The Kunsthistorisches Museum: KHM Home, Vienna.

vendredi 2 octobre 2009

Written

"Mais il faut bien que je termine enfin. C'est pourquoi je ne te dirai pas avec quelle attention j'ai lu et relu tout ce que tu écris de toi et de St. Sache-le : ce point précis, pourquoi et en quoi l'analyse peut être fatale à toute productivité, ne m'est apparu clairement que le mois dernier; car ce qui compte dans la production, ce sont précisément ces choses "immaitrisées" fort peu nombreuses en elles-mêmes et bien déterminées, et de les garder, si dangereux que cela puisse être, intactes. C'est follement important. Munich maintenant, avec la présence de Clara, ne sera plus tout à fait sans inconvénient: il semble en effet qu'elle interprète mal ma présence ou le moindre signe le plus naturel d'intérêt, comme si tu allais faire machine arrière, mais n'en avais pas encore tout à fait pris conscience ... Où, quand, comment pourrons-nous nous revoir, et parler ? Le plus beau pour moi serait de t'avoir ici ... En ce moment, je vais passer quelques jours à Leipzig. Adresse postale: Grassistrasse 14, prof. Dr. E. Spranger. Tout ce que tu proposeras m'agréera. En dehors de toute considération personnelle, je porte comme un fardeau le fait de ne pas vivre cette période avec toi. Lou."
Correspondance de Lou Andréas Salomé à Rainer Maria Rilke à Irschenhausen, Gottingen, 12 septembre 1914. and Gustav Klimt , Danae, Private Collection, Vienna, 1907.

jeudi 1 octobre 2009

Blue night

"Depuis l'arrivée de Vendredi, Robinson n'était pas retourné au fond de la grotte. Il espérait que grâce à son compagnon la vie dans l'île, le travail et les cérémonies l'amuseraient suffisamment pour qu'il n'ait plus envie de cette sorte de drogue.
Or une nuit de pleine lune, il s'éveilla et n'arriva plus à se rendormir. Dehors, il n'y avait pas un soufle de vent et les arbres parfaitement immobiles paraissaient dormir, comme Vendredi et Tenn enlacés à leur habitude devant la porte. Robinson fut envahi par un sentiment de très grand bonheur. En effet, parce qu'il faisait nuit, il n'y avait pas de travail possible, pas de cérémonies, pas d'uniforme, pas de gouverneur, ni de général, bref c'étaient les vacances. Robinson aurait voulu que la nuit ne finit jamais, que les vacances durent toujours. Mais il savait que le jour allait revenir et avec lui tous ses soucis et toutes ses obligations." Michel Tournier, Vendredi ou Les limbes du Pacifique, Ed. Gallimard, 1977. and The Very Late Style of Hans Hartung (1904-1989) at The fondation Marguerite, Aimé Maeght, 06570 Saint-Paul, France. sept. 2007.