vendredi 23 novembre 2012

Impotenza

"Si c'est à cause d'une des choses extérieures que tu t'affliges, ce n'est pas elle qui te trouble mais c'est ton jugement au sujet de cette chose. Il dépend de toi de le faire disparaître immédiatement. Car, si la cause de ton chagrin est dans une de tes dispositions intérieures, qui t'empêche de rectifier ta pensée ? 
Et si tu es chagrin de ne pas exécuter une action qui te paraît saine, pourquoi ne pas l'exécuter plutôt que de te chagriner ? - "Mais quelque chose de plus fort que moi s'y oppose" - Alors ne sois pas chagriné, car la cause de ton impuissance à l'exécuter ne dépend pas de toi - "Mais il ne vaut pas la peine de vivre si je ne l'exécute pas" - Quitte donc la vie, sans amertume, à la façon dont meurt l'homme qui a accompli ce qu'il a résolu, sans en vouloir aux obstacles rencontrés." 
Marc Aurèle (121 av JC), "A soi même, Pensées", trad. grec par Pierre Maréchaux, Ed. Payot, Rivages, 2003. and  Statue de l'Empereur Marc Aurèle, in Musée du Bardo, Tunis, 2012.

dimanche 21 octobre 2012

Game's end

"Des bras n'ont aucune valeur quand ils se trouvent de l'autre coté de l'océan, et que la vie est trop courte et trop froide pour qu'on renonce à toute chaleur pendant tant de mois ... Ca ne signifie pas que j'avais cessé de vous aimer, mais vous étiez si loin, ça me semblait si long avant de vous revoir ... Ca semble un peu absurde de parler de ces choses qui sont dépassées. Mais ça vaut autant, puisque vous ne pouvez pas vivre exilée à Chicago ni moi en exilé à Paris, et que je devrai toujours revenir ici, à ma machine à écrire et à ma solitude, et sentir le besoin de quelqu'un de proche, parce que vous êtes si loin". 
Elle :"Il n'y avait rien à répondre; il avait raison, absolument : ce n'en était pas plus consolant; j'aurais eu un poignant regret si cette histoire s'était brisée ... Heureusement, peu à peu, les lettres d'Algren se réchauffèrent. Il me racontait sa vie au jour le jour. Il m'envoyait des coupures de journaux, des tracts édifiants contre l'alcool et le tabac, des livres, du chocolat, deux bouteilles de whisky, camouflées dans d'énormes sacs de farine. Il me dit aussi qu'il viendrait à Paris en juin, il retenait sa place sur un bateau. Je me rassérénai, mais par moments je réalisais avec angoisse que notre histoire était vouée à finir, et bientôt." 
Simone de Beauvoir (1963), "La force des choses", Gallimard. and Amedeo Modigliani (1884-1920), with  Anna Akhmatova (1889-1966).

samedi 20 octobre 2012

Play time

"Nous avons roulé tout le samedi et tout le dimanche, et c'était merveilleux de revoir les arbres américains, et le grand ciel américain, les grandes rivières et les plaines. Ce n'est pas un pays aussi coloré que la France, ça ne vous prend pas le coeur comme les petits toits rouges quand on vient à Paris par le train transatlantique ou qu'on les survole dans l'avion Marseille - Paris. 

Ce n'est pas terrible comme la lumière gris-vert de Marrakech. C'est seulement vaste, chaud et facile, sûr et somnolent et ça prend son temps. J'ai été content de lui appartenir, et comme soulagé à l'idée que, où que j'aille, c'était ça le pays où je pourrais toujours revenir." Il me répétait qu'il m'attendait et la confiance me revint."  
Nelson Algren, Lettres à Simone de Beauvoir, in La force des choses de Simone  e Beauvoir. and Le café de Flore, Bd. Saint germain,  Paris 7.  

lundi 1 octobre 2012

Matta pittura

"Vous êtes fou, Gasiorewski, il faut vous ressaisir ... "
"Je me tiens au plaisir de peindre la peinture. Une énergie de tous les instants à dépenser, tous les possibles. Je me tiens assez bien je crois hors les convenances sociales et les fosses communes."
"Je vis dans l'intimité la plus achevée de peinture ... Seul, absolument, un geste dans un va et vient inlassablement répété, déforme, obscurci, brouille, opacifie le sujet, trompe l'oeil, fait écran."
 Reste Gasiorewski, celui-là, il me faut une fois pour toute l'intercepter, et si fait, le distraire dans un autre voyage. Pour l'instant je ne peux que l'imaginer comme un présage."  
Gérard Gasiorewski (1930-1986), Paroles ... and Exhibition on Gasiorewski,  Foundation Maeght, Saint Paul de Vence.

lundi 10 septembre 2012

Natura erudita

"Je procède très lentement, la nature s'offrant à moi très complexe; et les progrès à faire sont incessants. Il faut bien voir son modèle et sentir très juste; et encore s'exprimer avec distinction et force. Le goût est le meilleur juge. Il est rare. L'art ne s'adresse qu'à un nombre excessivement restreint d'individus. L'artiste doit dédaigner l'opinion qui ne repose pas sur l'observation intelligente du caractère.
Il doit redouter l'esprit littérateur, qui fait si souvent le peintre s'écarter de sa vraie voie - l'étude concrète de la nature - pour se perdre trop longtemps dans des spéculations intangibles.
Le Louvre est un bon livre à consulter, mais ce ne doit être encore qu'un intermédiaire. L'étude réelle et prodigieuse à entreprendre, c'est la diversité du tableau de la nature ...
Or la nature pour nous hommes, est plus en profondeur qu'en surface, d'où la nécessité d'introduire dans nos vibrations de lumière, représentées par les rouges et les jaunes, une somme suffisante de bleutés, pour faire sentir l'air ...." Paul Cezanne (1904), Lettre à Emile Bernard, Aix le 12 mai 1904. and le Jas de Bouffan, Aix en Provence.

mardi 4 septembre 2012

Pietra liscia

"J'ai senti cela dès que je suis arrivé dans l'île: c'était le vent violent, peut-être, qui chassait les nuages pareils à de la fumée d'incendie sur les cimes des montagnes. Ou le bleu de la mer, intense, éclairé par le soleil, les sombres courants qui viennent à travers la passe, les plateaux noirs du corail, et les montagnes fauves, les feuilles des vacoas, les aloès, les cactus. Surtout le silence, je crois, silence chargé de lumière et de vent, qui semblait venir de l'autre bout de l'océan, du plus au sud, des régions les plus pures du monde, l'Antarctique, l'Australie, l'Océanie.
Quelque chose que je ne comprenais pas bien et qui m'électrisait, emplissait mon corps et mon esprit, une lumière qui me gonflait, me nourrissait. Je l'ai senti, à chaque moment du jour, jusqu'à l'épuisement. La nuit même, sous le bleu sombre du ciel, les étoiles si sûres, si proches, la lune glissant entre les filaments de nuages. J'ai senti que j'étais dans un lieu exceptionnel, que j'étais arrivé au bout d'un voyage, à l'endroit où je devais depuis toujours venir. Qu'importaient les jours, les heures. Chaque seconde qui passait avait plus de force que celles que j'avais vécues ailleurs, plus de durée. Je savais cela, je l'ai su à l'instant où j'ai marché sur Rodrigues. Alors, je regardais, j'écoutais, je respirais tous mes sens aux aguets. Même s'il n'arrivait rien de ce voyage, il y avait cette lumière, ces rochers noirs, ce ciel, cette mer. Chaque seconde que je passais avec eux m'apportait leur pouvoir, leur science. J'étais avec eux. Un jour tandis que j'avançais seul sur mon ombre, j'ai vu une pierre ronde, une lave couleur de nuit, percée de trous, usée par l'eau et par l'air, et qui brillait au soleil d'un éclat sombre. Je l'ai ramassée, je l'ai serrée fort dans ma main. Je ne peux pas dire tout ce que cette pierre m'a fait."
Jean Marie Gustave Le Clezio (1986), Voyage à Rodrigues, Gallimard. and Mer à la Réserve, Nice.

dimanche 19 août 2012

Grotta minore

"Le refuge est doté de six dortoirs différents, trois petits et trois plus grands, d'une quinzaine de couchettes chacun, collées les unes aux autres et superposées sur deux bas flancs. Du bien rustique comme l'ont n'en fait plus. Ceux qui connaissent déjà les lieux et qui demandent à être placés dans une petite chambre, sont sûrs de se retrouver dans la Grotte.
"Je n'aime pas les caprices et encore moins les quémandeurs !" S'insurge la gardienne du refuge. La Grotte, c'est le dortoir le plus étroit, le plus sombre et le plus bas de plafond. Avec les matelas disposés de telle manière qu'il faut enjamber deux couchettes pour rejoindre celle du fond. Et si celui qui y dort, doit se lever dans la nuit pour pisser, il est sur de réveiller tout le monde en sortant !En dépit du manque d'espace et de lumière, c'est tout de même la pièce que je préfère nettoyer, car les couvertures y sont moins lourdes à plier que dans les autres dortoirs. Chaque lit est doté de deux couvrantes en laine épaisse et pesant plus de trois kilos chacune. Rien que la texture e donne pas envie de se mettre dessous ... Il faut être très fatigué pour avoir envie de s'y coucher!
Tous les matins, la corvée consiste à replier toutes les couvertures, la plupart du temps laissées en boule. Et quand elles ont été à peu près pliées par les clients, c'est tellement mal fait qu'il faut tout recommencer ...
Le coté sympa des dortoirs, c'est que l'on trouve parfois des trésors. des pièces de monnaie glissées entre deux matelas, des lampes frontales, des téléphones portables ... Il est malheureusement plus fréquent de trouver sous les matelas des bouchons d'oreille ou des mégots de cigarettes. Fumer est bien sûr interdit à l'intérieur. Mais lorsqu'il fait froid dehors, certains se planquent dans les chambres ou dans les toilettes pour s'en griller une !"
Laurence Fleury (2012), Une saison en refuge, Ed. Gypaète. and Allant vers la Grotte, Valais, Suisse.

mardi 14 août 2012

Vita del rifugio

"Un petit groupe arrive, bien plus enjoué que les deux autres.
-"Bonjour, vous êtes la gardienne ? Nous avons réservé quatre places pour ce soir. Est-ce que nous pourrions poser nos affaires dans le dortoir ?"
-"Je vais déjà prendre votre nom. Aviez-vous réserve la demie-pension ?"
-"Oui. Et on va vous commander à boire, parce qu'on a chaud et qu'il fait soif, répond le chef de l'équipe, tout guilleret. Pour moi, ce sera un Ice Tea. Et vous autres ?"
-"Un panache, un demi pêche et une pression, si vous avez."
-"Pas de chance, nous n'avons rien de tout ça."
Je l'invite à consulter la liste des boissons que nous proposons. Un tableau de plus d'un mètre de haut, accroché au mur, énonce les consommations et les plats en vente toute la journée. Bières en canettes, sodas, jus de fruits, omelettes garnies, pâtes bolognaises ou à la carbonara, assiette du berger, soupe, crêpes au sucre, au nutella, à la confiture... Le choix est vaste.
-"On va prendre quatre Heineken. Vous avez des glaçons ?"-
-"Non plus ! Vous êtes à 2500m d'altitude ! Je lui fais remarquer. Les glaçons, c'est la-haut sur le glacier qu'il faut aller les chercher." -
-"Bon, tant pis. Est-ce que vous vendez du pain ? Il nous faudrait une baguette pas trop cuite pour demain matin." La je le soupçonne de se moquer de moi. Mais il reste très sérieux .
....
-"Nous n'avons pas de baguette, et le pain avec lequel nous faisons nos sandwich est acheminé à dos d'homme depuis le village. Et si je vous en vendais deux tranches, elles seraient au prix du sandwich, le prix de l'effort. Le reste est réservé pour les repas du soir et les petits déjeuners. Le bonhomme ne trouve rien a redire et s'en va siroter sa bière ...."
Laurence Fleury (2012), Une saison en refuge, Éd. Gypaète. and Au dessus du Col du Simplon, Suisse.

samedi 14 juillet 2012

Aspettare

"Je constatais ainsi avec effroi que mon impatience à l'égard du rétablissement de la démocratie avait quelque chose de communiste. Ou plus généralement, quelque chose de rationaliste, l'unité des Lumières. J'avais voulu faire avancer l'histoire de la même manière qu'un enfant tire sur une plante pour la faire pousser plus vite.
Je crois qu'il faut apprendre à attendre comme on apprend à créer. Il faut semer patiemment les graines, arroser avec assiduité la terre où elles sont semées et accorder aux plantes le temps qui leur est propre. On ne peut duper une plante, pas plus qu'on ne peut duper l'Histoire. Mais on peut l'arroser. Patiemment, tous les jours. Avec compréhension, avec humilité, certes, mais aussi avec amour. Si les hommes politiques et les citoyens apprennent à attendre dans le meilleur sens du mot, manifestant ainsi leur estime pour l'ordre intrinsèque des choses et ses insondables profondeurs, s'ils comprennent que toute chose dispose de son temps dans ce Monde et que l'important, au-delà de ce qu'ils espèrent de la part du Monde et de l'Histoire, c'est aussi de savoir ce qu'espèrent le Monde et l'Histoire à leur tour, alors l'humanité ne peut pas finir aussi mal que nous l'imaginons parfois."
M. Václav Havel (1990), Discours d'installation comme Associé étranger à l'Académie des sciences politiques et sociales, Paris. and Isola Chioggia, Venezia.

samedi 30 juin 2012

Tentazione

"Non volere tutto amore da me
che se troppo è mai abbastanza
ritorno al luogo di un'ispirazione
cielo fantasma di Roma d'estate
giardinetti pubblici d'Ecate.
Un godimento puerile di morte
offre questo verbo mangiucchiato
nel dolce sale di carni insaziabili
ma la memoria ... pecca di sogni
all'osso del reale impossibile
fu per noi amarci anche se (pensi)
la colpa dovrà pur essere assegnata
chi mai avrebbe pensato chi
mai ? l'amato e l'amante in doppio
mandate sfarsi ? la solita solfa
creduta credibile pur ancora accaduta
ma comiche erano le nostre ferite
per amore odiavo me e te e
tutta la via andata che mai ti ha
liberata dalle sue calde fasce."
Alessandro Contadini (2008), Ogni lettera è metà nella luce, Ed. Il labirinto, Roma. and Michelangelo, La tentazione.

vendredi 29 juin 2012

Figlio della luna

"Tantôt berger de carie, tantôt douzième roi d’Elide, Endymion réunit les mythes d’Hypnos et de Séléné (nom grec de la lune). Fils de Jupiter et de la nymphe Calyce, chéri de son père, il fut admis dans l’Olympe. Audacieux au point de faire comprendre à Junon qu’il trouvait ses charmes à son goût, il fut condamné par Jupiter à un sommeil éternel. D’autres prétendent que Jupiter lui ayant laissé le choix de son châtiment, il demanda une jeunesse éternelle et la faculté de dormir aussi longtemps qu’il le voudrait. La chaste Diane éprise de sa beauté parfaite, vint le visiter toutes les nuits dans une grotte du mont Latmos et enfante cinquante filles et un fils.

D'après une autre légende moins fréquemment citée, Endymion fut aimé d’Hypnos, dieu du sommeil qui le faisait dormir les paupières ouvertes, pour voir toujours ses beaux yeux. Girodet, fin lettré, était familier des multiples interprétations du mythe, dont certaines sont reprises dans le dictionnaire de la fable auquel il collabora (Noël, Dicionnaire de la Fable…, 1803, p.475-476. Dans l’article « Endymion », Noël fait directement référence au tableau: « Ce sujet a été souvent traité par les peintres et les poètes; mais parmi les premiers, je doute qu’aucun l’ait rendu aussi poétiquement que le citoyen Girodet, dont les talents justifient ce début de la plus grande espérance. »). Une source grecque satirique qui n’y figure pas (Levitine, 1952 (publié en 1978) mentionne pour la 1ere fois cette source, absente du dictionnaire de Noël.) correspond pourtant exactement à la scène du tableau: il s’agît du Dialogue des dieux, de Lucien de Samosate, où Aphrodite se moque de Séléné allant contempler Endymion dans son sommeil. Anne-Louis Girodet (1791), Le sommeil d'Endymion, Musée du Louvre, Paris.

samedi 9 juin 2012

Pensiero cieco

"Pensée:
Si je chancelle, Orian, c'est parce que vous n'êtes pas là pour me tenir. Et je ne suis aveugle que parce que je ne puis pas vous voir.
Orian:
Tout cela même a été mis de coté et de vous à moi, s'est établi quelque chose de plus direct. Il y avait quelque chose en moi qui tenait à se séparer de moi-même. Alors j'ai connu un autre désir, sans image ni aucune action de l'intelligence, mais tout l'être qui purement et simplement tire et demande vers un autre, et l'ennui de soi-même, toute l'âme horriblement qui s'arrache, et non pas de brûlement continu seul, mais une série de grands efforts l'un après l'autre, comparables aux nausées de la mort, qui épuisent toute l'âme à chaque coup et me laissent aux portes du Néant !
J'ai tenu bon cependant, et quand j'aurais voulu revenir, le bateau était là qui m'emportait.
Et je sais les grands et incomparables liens que le mariage apporte. Mais je sais aussi que c'était tout autre chose, incompatible avec tout, que demandait un désir comme le mien. En moi sans doute allumé pour le juste châtiment de mon orgueil et contre ma volonté.
Pensée :
On dit qu'il n'y a pas d'âme qui ait été faite ailleurs que dans une vue et dans un rapport mystérieusement avec d'autres. Mais pour nous deux, c'est plus que cela encore, toi à mesure que tu parles, j'existe, une même chose répondante à ces deux personnes. Quand on vous préparait, Orion, je pense qu'il restait un peu de la substance qui avait été disposée en vous, et c'est de cela que vous manquez et que je fus faite.
Et pour qu'elle fût capable de retrouver la vôtre, pour qu'aucun prestige ne l'égarât, pauvre âme pour que son chemin de fer fût sûr, pour que ce qui était à vous seul, vous fût entièrement conservé, c'est pour cela sans doute que mes yeux furent clos !"
Paul Claudel (1945), Le père humilié, Drame en 4 actes, Gallimard. and Gioachino Rossini (1828), Le Comte Ory, The Metropolitan Opera, Aprile 9, 2011.

vendredi 11 mai 2012

Allungarsi

"Ereintée de m'être couchée si tard la nuit dernière, je suis au lit et prête à dormir. Encore un ou deux mots. Ce que j'écris m'est égal, le seul fait de vous écrire est ce qui me plaît, c'est comme si je vous embrassais, quelque chose de physique, je sens mon amour pour vous dans mes doigts qui vous écrivent, c'est bon de sentir son amour dans n'importe quelle partie vivante de son corps, pas seulement dans sa tête. Écrire n'est certes pas aussi agréable qu'embrasser, c'est même un peu sec, solitaire et triste, mais c'est mieux que rien : je n'ai pas le choix. Alors j'écris n'importe quoi, voyez-vous, des bêtises, simplement pour ne pas dire au revoir.
Ce matin j'ai passé une heure entière, à la terrasse du "Flore", avec une jeune Américaine que j'ai rencontrée l'autre nuit. Elle n'est pas mal mais dieu, qu'elle est bête, épouvantablement bête. Pourtant ça m'a fait plaisir de parler anglais. Au début j'étais intimidée, après, les mots me sont revenus. De ma fenêtre, ou du jardin, je vois des avions descendre lentement d'un aéroport du voisinage ou s'envoler fièrement. Chaque fois je pense à vous. En beaucoup d'autres circonstances aussi, et en dehors de toute circonstance. Vous vivez avec moi, nuit et jour. Maintenant, venez dormir avec moi. Au revoir, au revoir, je suis trop fatiguée. Si vous ne voulez pas dire au revoir, venez dans mes rêves. J'espère que vous allez le faire, bien que ce ne soit jamais le cas, refus peu aimable de votre part. Je vous embrasse sur le papier. Une fois les lumières éteintes, je fermerai les yeux et mes lèvres se souviendront du goût de vos baisers. C'est ainsi que j'espère m'endormir." Simone de Beauvoir (1947), Lettres à Nelson Algren, mardi 24 juin, Paris, Gallimard, 1997. and Helmut Newton (1920-2004 ), The crocodile at Exposition, Grand Palais, Paris , samedi 12 mai 2012.


vendredi 4 mai 2012

Sedersi

"Vorrei sedermi vicino a te in silenzio,
ma non ne ho il coraggio : temo che
il mio cuore mi salga alle labbra.
Ecco perché parlo stupidamente e nascondo il mio cuore dietro le parole.
Tratto crudelmente il mio dolore per paura che tu faccia lo stesso.
Il mio cuscino mi guarda di notte con durezza come una pietra tombale;
non avevo mai immaginato che tanto amore fosse essere solo
e non essere adagiato nei tuoi capelli.
Voglio soltanto saperti vicina e che muta e silenziosa,
di tanto in tanto, mi tenda la tua mano."
Garcia Lorca and Fontana Farnese.

vendredi 27 avril 2012

vendredi 20 avril 2012

Cattivita alta

"Comment expliquer que ce soit précisément vivre, quoi que j'aie à vivre, qui constitue ma plus grande peur ? Comment expliquer que je ne supporte pas de voir, uniquement parce que
la vie n'est pas telle que je croyais mais tout autre-comme si j'avais su, avant, ce qu'elle était ! Pourquoi est-ce-que voir entraîne un tel bouleversement ? Et une désillusion. Mais désillusion de quoi ? Si, sans toutefois le sentir, je tolérais mal mon organisation à peine construite ? Peut-être la désillusion vient-elle de ne plus appartenir à un système. Mais cela devrait alors se dire ainsi : il est très heureux parce qu'il a enfin perdu ses illusions. Ce que j'étais avant ne m'était pas bon. Mais c'est à partir de ce pas-bon que j'avais construit le meilleur : l'espoir.
J'avais, avec mon propre mal, créé un bien à venir. La peur maintenant c'est que mon nouveau système n'ait pas de sens. Mais pourquoi est-ce que je ne me laisse pas guider par tout ce qui va désormais se produire ? Me voici obligée de courir le risque sacré du hasard. Obligée de remplacer le destin par la probabilité.
Les découvertes de l'enfance se feraient comme dans un laboratoire ou l'on trouve ce que l'on devait trouver ? Et c'est à l'âge adulte que j'aurais pris peur et créé la troisième jambe ? Mais aurais-je aujourd'hui, que je suis adulte, ce courage d'enfant qu'il faut pour se perdre ? Se perdre signifie chercher sans relâche, sans savoir quoi faire de ce qu'on pourra trouver. Avec les deux jambes qui se déplacent mais sans la troisième qui assure.
Or je veux être captive. Je ne sais que faire de cette liberté épouvantable qui peut me détruire. Étais-je plus contente, pourtant du temps ou j'étais captive ? Ou bien y avait-il, et il y avait, cette chose sournoise et inquiète dans ma routine de prisonnière ? ... Je sais qu'il me faudra prendre bien des précautions pour ne pas utiliser une de ces troisièmes jambes qui me poussent aussi facilement que de la mauvaise herbe, et pour ne pas appeller cette jambe de protection une "vérité". Clarice Lispector (1978), La passion selon G.H., trad. brésilienne. Claude Farny, Paris, Éd. Des femmes. and Art et Temples Maya, Palenque, Mexique, 2011.

mardi 17 avril 2012

Luce eterna

"Je décidai de ne pas quitter Nice et j'y demeurais pratiquement toute mon existence ... Je domine Nice, je suis au col de Villefranche, le soleil se lève derrière moi. Je vois les montagnes vers Cagnes se colorer d'abord."
"Ici c'est un pays où la lumière joue le premier rôle, la couleur vient après ... il faut avant tout sentir cette lumière, l'avoir en soi. "
"J

e voudrais que les gens sachent qu'il ne faut pas approcher de la couleur comme on entre dans un moulin,

qu'il faut une sévère préparation pour être digne d'elle."

"La plupart viennent ici pour la lumière et le pittoresque. Moi, je suis du Nord. Ce qui m'a fixé, ce sont les grands reflets colorés de janvier, la luminosité du jour .... J'adore le canotage. J'en fais tous les après-midi et je ne peins que le matin."
"La danse" ... puis "La chapelle du Rosaire" à Vence ... "Cette oeuvre m'a demandé quatre ans d'un travail exclusif et assidu, et elle est le résultat de tout une vie active." Signature de Matisse (1869-1954) and Matisse's Pictures.

dimanche 15 avril 2012

Felicità

"Mon mari. Je ne m'attendais pas à votre lettre de cet après-midi, le courrier arrive de plus en plus rapidement. Ici le soleil, vie tranquille, plaisante, dans ce magnifique pays où je vous attends, où je me rapproche de vous. Jamais je n'ai été si heureuse depuis que j'ai quitté notre logis, je suis heureuse éveillée, heureuse quand je dors, heureuse quand je marche dans les ronces, heureuse quand je lis des mots américains, quand j'écris mon livre, quand je lézarde au soleil; je vous aime ...
Avec vous, entre le plaisir et l'amour, je n'ai jamais senti de différence, pas plus qu'entre mon corps et mon esprit. C'est une femme complète qui vous désire. Je ne suis plus rien d'autre , désormais, que ce brûlant, fier, impatient et heureux désir de vous." Simone de Beauvoir, (1948), Lettres à Nelson Algren, Lundi 19 avril , Paris, Folio. and Lumière à Ramatuelle, St. Tropez.

jeudi 5 avril 2012

Foolish dream

"Chéri, pour une fois j'ai rêvé de vous, ça n'était pas une réussite. Quelque part à Paris, dans un grand bureau, mêlé à des Américains importants, par exemple à l'Unesco, tout changé de visage, sérieux, sévère, vous me reprochiez amèrement d'être venue vous voir, de vous compromettre, de vous donner mauvaise réputation. Je vous demandais, je vous suppliais de me laisser vous parler en privé, ne serait-ce que quelques minutes, mais vous rétorquiez froidement que vous reconnaissiez bien là un de mes comportements les plus pervers, et vous refusiez.
Je partais pleurant à chaudes larmes, convaincue que nous n'irions pas au Mexique, que je ne vous reverrai jamais. Des amis essayaient de me calmer, arguant que "tous ces Américains étaient à mettre dans le même sac, puritains, conformistes, respectueux des usages". Je n'en pleurais que davantage, au souvenir de certains passages de vos lettres, de certaines paroles, de votre vrai visage, je ne comprenais pas. Puis, toujours en rêve, venait l'illumination: "Ce n'est qu'un rêve !" Je me suis sentie quand même chose ce matin jusqu'à ce que par bonheur votre lettre arrive". Simone de Beauvoir (1948), Lettres à Nelson Algren, dimanche 4 avril, Folio. and Edicole Sacre, via MONTORO .

dimanche 1 avril 2012

Ode mistica

"Sois enivré d'amour

car l'amour est tout ce qui existe

L'amour est d'ordre universel.

Chaque instant qui s'écoule loin de l'amour

Est devant Dieu comme un objet de honte

Recherche le royaume de l'Amour

Car ce royaume te fera échapper à l'ange de la mort.

Les moeurs de l'amour ignorent les conventions.

Si tu es amoureux de l'amour, si c'est l'amour que tu recherches

Prends un poignard aiguisé et coupe le cou de la timidité

Et saches que la réputation est un grand obstacle sur ce Sentier."

Rûmî, Extrait "Odes mystiques". and Canal de Gairaut.

vendredi 16 mars 2012

Accetare

"Ma patience porte ses fruits; je souffre moins; la vie redevient presque douce ...
L'avenir du monde ne m'inquiète plus; je ne m'efforce plus de calculer, avec angoisse, la durée plus ou moins longue de la paix romaine; je laisse faire aux dieux. Ce n'est pas que j'aie acquis plus de confiance en leur justice, qui n'est pas la notre, ou plus de foi en la sagesse de l'homme; le contraire est vrai. La vie est atroce; nous savons cela.
Mais précisément parce que j'attends peu de choses de la condition humaine, les périodes de bonheur, les progrès partiels, les efforts de recommencement et de continuité me semblent autant de prodiges qui compensent presque l'immense masse des maux, des échecs, de l'incurie et de l'erreur. Les catastrophes et les ruines viendront; le désordre triomphera, mais de temps en temps l'ordre aussi. La paix s'installera de nouveau entre deux périodes de guerre; les mots de liberté, d'humanité, de justice retrouveront ça et la le sens que nous avons tenté de leur donner. Nos livres ne périront pas tous ... J'accepte avec calme ces vicissitudes de Rome éternelle." Marguerite Yourcenar (1951), Mémoires d'Hadrien, Gallimard, Paris, 1971. and Villa Borghese, Roma.

samedi 10 mars 2012

Mio amore

" Nelson mon amour, Vous croyez habiter Chicago, pas du tout, vous habitez cette maison. Hier le "bon pigeon de La Poueze" à apporte votre dernière lettre, une sorte de fumée en émanait qui a grandi, grandi, a pris forme, c'était vous et je ne vous ai plus lâché. Nous avons revécu tout ce que nous avons vécu ensemble: à la Petite Italie nous avons bu du chianti, visité la prison du comte, admiré la sorcière d'Endor, écouté des disques, mangé du gâteau au rhum, bu du whisky, erré dans des rues oubliées.
"Je n'aurai pas pu ne pas vous rencontrer", avez-vous dit, et aussi "Personne ne vous prendra à moi", "Vous m'avez rendu très heureux". Si deux lettres vous ressuscitent en chair et en os, que sera-ce quand je vous toucherai ? Je n'ouvre pas souvent, pour ne pas les gâcher, le coffre de haute sécurité ou je conserve les mots, les regards, les sourires, les baisers qui m'ont touchés au coeur, mais aujourd'hui je l'ai ouvert, j'ai serré contre moi tous mes trésors, c'était doux de vous sentir si proche tout le jour, mon amour." Simone de Beauvoir (1947), Lettres à Nelson Algren, Jeudi 11 decembre 1947, Folio, 1997. and Mas en Provence.

vendredi 9 mars 2012

Novella strana

"Une des histoires les plus touchantes de Balzac est, je crois, intitulée : "Ce que l'amour coûte aux vieillards" : on pourrait encore en écrire beaucoup sous ce titre-là. Mais les gens âgés, qui connaissent le fond des choses, n'aiment à parler que de leurs succès et non pas de leur faiblesses. Ils craignent d'être ridicules, dans des affaires qui pourtant ne sont, en quelque sorte que l'oscillation de l'éternité.
Peut-on croire réellement à l'intervention du hasard dans le fait que précisément "sont perdus" les chapitres des "Mémoires" de Casanova ou il est question de sa vieillesse, ou le coq devient cocu et le trompeur trompé" ? C'est peut-être simplement que sa main était devenue trop lourde et son cœur trop étroit. Il me tendit la main, sa voix était maintenant de nouveau tout à fait calme, bien assurée, et sans émotion. - Bonne nuit, fit-il. Je vois qu'il est dangereux de raconter aux jeunes gens des histoires pendant les nuits d'été. Cela donne facilement de folles pensées et toutes sortes de rêves inutiles. Bonne nuit." Stefan Zweig (1931), Le jeu dangereux, Première édition, Attinger, Paris. and L'hermaphrodite endormi, Musée du Louvre Paris, Galleria Borghese Roma.

vendredi 24 février 2012

Darkness

"Vous savez que je ne suis pas particulièrement tendre. Il m'a fallu donner des coups et en esquiver. Il m'a fallu me défendre, et attaquer parfois -ce n'est qu'une façon de se défendre - sans trop calculer les risques, selon les exigences du mode de vie dans lequel j'étais sottement allé me fourrer.
J'ai vu le démon de la violence, et le démon de l'avidité, et le démon du désir brûlant, mais, par tous les dieux du ciel ! C'étaient des démons pleins de force et d'énergie, à l'oeil de feu, qui dominaient et menaient les hommes - des hommes, vous dis-je. Mais là, sur ce flanc de colline, j'eu la prémonition que, sous le soleil aveuglant de cette contrée, je ferais la connaissance du démon avachi, hypocrite, au regard fuyant, d'une sottise rapace et sans pitié. A quel point il pouvait être aussi perfide, je ne devais le découvrir que plusieurs mois après et mille milles plus loin. Pendant un moment, je restais épouvanté, comme sous le coup d'un avertissement." Joseph Conrad (1857-1924), Heart of darkness. and Michelangelo Merisi da Caravaggio (1595), Judith beheading Holofernes.

vendredi 17 février 2012

Heavy return

"Ropraz, le 19 septembre 2008. Mon cher Jérôme.Avant le matin: 6h30. Cette heure je regarde le jardin comme si je ne l'avais jamais vu, je le vois dedans et dehors, arbres et buissons, herbe, rameaux en moi de tant d'années ... et fraîcheur encore grise, presque argentée, luisante .... C'est juste avant le lever du soleil et l'éclairage blanc du jour. Un moment ou ne rien décider, se ressentir léger, ouvert, habite, laisser le poème ou la lettre s'écrire dans la présence parfaite, sans doute celle de Dieu, certainement celle de l'ami revenu il y a quelques jours avec grande joie et plaisir." Jacques Chessex et Jérôme Garcin, Fraternités secrètes. Correspondances 1975-2009, Grasset, Paris, 2012. and Le Mercantour, sommet des pistes, Auron 06.

mardi 7 février 2012

Molestia

«Ce cœur devrait cesser d'aimer lui-même
Voyant pour lui les autres se fermer,
Mais s'il n'est plus possible que l'on m'aime,
Ah ! qu'on me laisse aimer ! Cherche combien sans chercher l'ont connue !
La tombe du soldat, plus fier désir,
Choisis ta place et, ton heure venue,
Etends-toi pour dormir."
Lord George Gordon Byron (1824), Lettres et journaux, Villa Diodati. and statue of Byron in Borghese Garden, Roma.

dimanche 5 février 2012

Assenza

"Accablé de labeur, sur mon lit je me jette,
Doux repos pour mon corps par la route harassé;
Mais un voyage alors recommence en ma tête:
L'esprit oeuvre à son tour quand le corps est lassé
En effet mes pensées si loin que je m'absente,
Vont zélés pélerins, retourner jusqu'à toi,
Grande ouverte tenant ma paupière pesante
Sur cette obscurité que l'aveugle aperçoit.
Cependant, dans mon âme, Ajouter une imageun regard chimérique,
Vient montrer ton fantôme à mes aveugles yeux,
Comme un joyau, pendu dans la nuit fantastique,
Rend belle cette nuit, neuf son visage vieux.
Par moi, par toi, le jour mon corps, la nuit mon âme,
Se voient ainsi privés du repos qu'ils réclament."
William Shakespeare, Sonnet XXVII, trad. J.Malaplate. and Borghese Garden, Roma.

dimanche 15 janvier 2012

Coldness

"Mon très cher, ici comme à Chicago c'est la froidure, je suis totalement gelée, pourtant j'ai eu une plaisante matinée. Pour consulter des ouvrages d'ethnologie dans une bibliothèque située au Trocadéro, fort loin de Saint Germain, j'ai traversé en taxi Paris plonge dans le brouillard, la tour Eiffel disparaissait dans un ciel rouge, c'était beau. J'ai découvert des choses sidérantes, ces tribus australiennes, indiennes et africaines se comportent vraiment de façon insensée avec les femmes. Comme cette bibliothèque fait partie d'un grand musée, j'en ai profité pour visiter une exposition d'art précolombien, belles statues, pierres sculptées, tissages, reproductions de ce que nous verrons la-bas. D'accord, n'allons pas à Cuba ni au Guatemala, essayons de connaître à fond le Mexique. J'hésite encore sur la date de mon arrivée, ça dépend de beaucoup de considérations, mais pour nous c'est sans grande importance, de toute façon je serai avec vous au commencement de mai. Je vous écris en buvant un punch brûlant dans un bar de Saint Germain et me sens une reine ... Il se fait tard. Je travaille bien, j'attends le printemps, je pense à vous, c'est ma première pensée le matin quand j'ouvre les yeux et la dernière le soir quand je les ferme. Je vous embrasse aussi bien que je peux et aussi longtemps que vous voulez." Simone de Beauvoir, Lettres à Nelson Algren, mardi 20 janvier 1948, Gallimard. and Illuminations in Paris, at the Passerelle Simone-de-Beauvoir, 2006.