mardi 17 décembre 2013

Maschera

"L'inconscient ne peut concevoir l'idée de notre propre disparition et "la croyance à la mort ne trouve donc aucun point d'appui dans nos instincts." Et si l'annihilation n'est pas inconnue de l'inconscient, elle ne concerne que l'ennemi ou l'étranger qui, même disparu, peut toujours revenir pour se venger. Quant aux êtres chers, s'il leur interdit de disparaître puisqu'ils sont une part de nous-mêmes, ils n'en méritent pas moins d'être anéantis à leur moindre manquement. Telle serait la vérité cachée qu'il nous faudrait apprendre à reconnaître. Mais que redoute -t-il alors celui qui, infligeant la mort d'un coeur léger, ne croit pas pour lui-même à sa réalité tout en en ayant la crainte obsédante de mourir ? 
Il ne le sait pas, car si naturelle qu'elle paraisse, cette peur de mourir n'est qu'un masque. Au regard de l'inconscient, tout comme pour le primitif, la mort redoutée en effet n'est jamais naturelle, elle est toujours le fait d'un autre, vivant ou invisible, venu vous retirer quelque chose, vous priver de la vie. La mort ne bénéficie pas d'un statut d'exception; image de l'amputation ou de la perte, elle doit être rangée sur le même plan que les autres figures de l'anéantissement, pour signifier la castration. La peur des départs en voyage et la peur de mourir, que l'adage rapproche, voilent et reflètent un même danger. 
Freud était bien placé pour le savoir ( lui qui avait la phobie des trains ). En 1925, il écrit encore :"... Dans l'inconscient il n'y a rien qui puisse donner un contenu à notre concept de destruction ... je m'en tiens fermement à l'idée que l'angoisse de mort doit être conçue comme un analogon de l'angoisse de castration. "Non qu'il n'y ait pas d'anéantissement, mais il n'existe que sous la forme d'un désir d'élliminer celui qui brandit la menace de castration : le père. Les désirs de meurtre succombent apparemment au refoulement, la culpabilité se perpétue et nourrit la peur de mourir. Le cercle se referme :"... il ne se cache aucun secret plus profond, aucune signification derrière l'angoisse de castration, elle même".  Au niveau de l'interprétation qui est celui de la psychanalyse, la mort, en tant que telle, n'a donc pas de place, elle est ravalée au rang de masque et les questions sérieuse concernent seulement ce qu'elle dissimule. Avec la mort de la mort, une conquête décisive, réellement révolutionnaire, a été accomplie dans la recherche de la vérité." 
M. De M'Uzan (1977), Freud et la mort, in "De l'art à la mort", Paris, Gallimard. and Palazzo a Venezzia. 

mercredi 6 novembre 2013

Stanchezza

"J’ai trop froid.
Je suis si fatigué, las de cette solitude.
Ô Vent, va chercher ma Mère.
Emmène-moi dans la Nuit vers la maison que je n’ai pas connue …
Rends moi, ô Silence, ma nourrice, mon berceau et cette berceuse qui si doucement m’endormait". Fernando Pessoa ( 1888-1935 )Le Livre de l’Intranquillité, Ed Bourgois, Paris.


mercredi 30 octobre 2013

Aspettando Godot


"Comme si j'avais tout simplement oublié d'attendre, attendre de la seule manière qui ait un sens. Aujourd'hui, avec le recul, j'ai tout loisir de repenser à cela. Et je commence à comprendre que mon impatience me fit succomber justement à ce que j'avais toujours soumis à une analyse critique.
Je succombai à cette forme d'impatience, ô combien destructrice, de la civilisation technocratique moderne, imbue de sa rationalité, persuadée à tort que le monde n'est qu'une grille de mots croisés, où il n'y aurait qu'une seule solution correcte — soi-disant objective — au problème ; une solution dont je suis seul à décider de l'échéance. Sans m'en rendre compte, je succombais, de facto, à la certitude perverse d'être le maître absolu de la réalité, maître qui aurait pour seule vocation de parfaire cette réalité selon une formule toute faite. Et comme il revenait à moi seul d'en choisir le moment, il n'y avait aucune raison de ne pas le faire tout de suite. Bref, je pensais que le temps m'appartenait. C'était une grande erreur... Il ne faut pas attendre Godot. Godot ne viendra pas car il n'existe pas. Il est d'ailleurs impossible d'inventer Godot. L'exemple type d'un Godot imaginaire, celui qui finit par arriver, donc un faux, le Godot qui prétendait nous sauver mais qui n'a fait que détruire et décimer, ce fut le communisme." Discours de Vaclav Havel lors de son installation comme membre associé étranger à l'Académie des Sciences Morales et Politiques, samedi 27 octobre 1992. and Vallée de la Haute Tinée,  le Gué de Vens.

mardi 29 octobre 2013

Abbraccio

"Au printemps, Tipasa est habité par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes, la mer cuirassée d'argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres. A certaines heures, la campagne est noire de soleil. Les yeux tentent vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumière et de couleurs qui tremblent au bord des cils. 
Ici même, je sais que jamais je ne m'approcherai assez du monde. Il me faut être nu et puis plonger dans la mer, encore tout parfumé de essences de la terre, laver celles-ci dans celle-là, et nouer sur ma peau l'étreinte pour laquelle soupirent lèvres à lèvres depuis si longtemps la terre et la mer. Entré dans l'eau, c'est le saisissement, la montée d'une glu froide et opaque, puis le plongeon dans le bourdonnement des oreilles, le nez coulant et la bouche amère - la nage, les bras vernis d'eau sortis de la mer pour se dorer dans le soleil et rabattus dans une torsion de tous les muscles; la course de l'eau sur mon corps, cette possession tumultueuse de l'onde par mes jambes - et l'absence d'horizon. Sur le rivage, c'est la chute sur le sable, abandonné au monde, rentré dans ma pesanteur de chair et d'os, abruti de soleil, avec, de loin en loin, un regard pour mes bras où les flaques de peau sèche découvrent, avec le glissement de l'eau, le duvet blond et la poussière de sel ... Je comprends ici ce qu'on appelle gloire : le droit d'aimer sans mesure. Il n'y a qu'un seul amour dans ce monde. Étreindre un corps de femme, c'est aussi retenir contre soi cette joie étrange qui descend du ciel vers la mer...  Albert Camus (1939), Noces à Tipasa, Folio, p. 11-15-16.

lundi 28 octobre 2013

Lontano


Loin, aussi loin que tu sois
Et plus loin si je dois,
J'irai vers ta lumière


Loin, aussi loin que je peux
Et plus loin si tu veux
Par delà les frontières

Je n'ai pas choisi
C'est ni le besoin, ni l'envie
J'ai cette force au fond de moi
Qui me porte vers toi

 Loin, plus loin que l'au delà
Où l'horizon se noie
Dans le ciel et la terre.

       Loin, à des milles et des milles 
                                                               Où tout est immobile
                                                               J'offrirai mes prières

                                                          Loin, au bout de l'espérance
                                                             Trouver la délivrance
                                                                Et du feu et du fer

                                                          Loin, je suis né pour servir
                                                               Pour servir et mourir
                                                             Pour souffrir et me taire

                                                          Loin, loin jusqu'au pied du ciel
                                                              Aux ténèbres éternelles 
                                                    
                                                                J'irai vers ta lumière
                                            Michel Sardou, Paroles de chanson, "Loin". 

dimanche 20 octobre 2013

Rivolta

"Le fameux discours de Saint-Just ... Si un contrat naturel ou civil, pouvait encore lier le roi et son peuple, il y aurait obligation mutuelle; la volonté du peuple ne pourrait s'ériger en juge absolu pour prononcer le jugement absolu. Il s'agit donc de démontrer qu'aucun rapport ne lie le peuple et le roi. Pour prouver que le peuple est en lui-même la vérité éternelle, il faut montrer que la royauté est en elle même crime éternel. Saint-Just pose donc en axiome que tout roi est rebelle ou usurpateur. Il est rebelle contre le peuple dont il usurpe la souveraineté absolue. La monarchie n'est point un roi, "elle est le crime". Non pas un crime mais le crime, dit Saint-Just, c'est à dire la profanation absolue. C'est le sens précis et extrême en même temps, du mot de Saint-Just dont on a trop étendu la signification :"Nul ne peut régner innocemment".   
..................................
Tout roi est coupable et par le fait même qu'un homme se veut roi, le voilà voué à la mort. Saint-Just dit exactement la même chose lorsqu'il démontre ensuite que la souveraineté du peuple est "chose sacrée".  Les citoyens sont entre eux inviolables et sacrés et ne peuvent se contraindre que par la loi, expression de leur volonté commune ... Quand tous pardonneraient la volonté générale ne le peut pas. Le peuple même ne peut effacer le crime de la tyrannie. La victime en droit, ne peut-elle retirer sa plainte ... Le crime du roi est en même temps péché contre l'ordre suprême. Un crime se commet puis se pardonne, se punit ou s'oublie. Mais le crime de royauté est permanent, il est lié à la personne du roi, à son existence. Le Christ lui même, s'il peut pardonner aux coupables, ne peut absoudre les faux dieux. Ils doivent disparaître ou vaincre. Le peuple, s'il pardonne aujourd'hui, retrouvera demain le crime intact, même si le criminel dort dans la paix des prisons. Il n'y a donc qu'une seule issue : Venger le meurtre du peuple par la mort du roi". 
Albert Camus (1951), L'homme révolté, Gallimard. and Gustav-Adolf Mossa (1844-1926),   Pierrot s'en va, in Carnaval of Nice.


mercredi 25 septembre 2013

Vivo amore


   Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J'ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ai grands ennuis entremêlés de joie.
Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure ;
Mon bien s'en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.
Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.
Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.
L.Labé (XVI°), Sonnets VIII and H.Matisse, Les vagues, Musée Matisse.

mardi 10 septembre 2013

Tonight as



                                                       "tonight as I
                                                       hull kidney beans
                                                       the stone
                                                       engraved with her name
                                                       is growing cold
                                                       lest we stray
                                                       the Milky Way
                                                       just happens
                                                       to slip between
                                                       our entwined fingers
                                                       "even rainy days
                                                       at the beach
                                                       aren't bad,"
                                                       I whisper in the ear
                                                       of a jet-black labrador
                                                       for men
                                                       child-birth, child-raising
                                                       must be matters
                                                       viewed vaguely
                                                       through green mists
                                                       tranquilly ashes
                                                       continue to fall
                                                       on this ruined village
                                                       where like a scream
                                                       the silence shines
                                                       this stumbling
                                                       with just the toes
                                                       of my right toes
                                                       might come from bad feeling
                                                       between it and the left  ... as if
     
                                                        falling down
                                                        into the galaxy,
                                                        I would fall
                                                        into your heart
                                                        
sometimes I wish for
                                                        shoulders to lean against—
                                                        there's a bitter wind
                                                        like the delivery of letters
                                                        after my death"
                                 Mariko Kitakubo, Gallery. and Il Pincio, Roma.                            

lundi 2 septembre 2013

Murder

« Il n’y a qu’un crime, c’est de désespérer du monde.
Nous sommes appelés à pleins poumons à faire neuf ce qui était vieux, à croire à la montée de la sève dans le vieux tronc de l’arbre de vie. Nous sommes appelés à renaître, à congédier en nous le vieillard amer ! Bien des jeunes sont dans ce sens de cruels vieillards envers eux-mêmes … 
Le pessimisme croit si bêtement que ce qui a été va se répéter. Peut-on imaginer plus d’incapacité créatrice que cette attitude-là dont je ne serai jamais adepte ? Nous sommes appelés à sortir de nos cachettes de poussière, de nos retranchements de sécurité et à accueillir en nous l’espoir fou, immodéré d’un monde neuf, infime, fragile, éblouissant. Naître, voilà l’invitation de Noël ...  Le voyage - ce voyage là du moins - est pour moi terminé.  A partir de demain, mieux : à partir de cet instant, tout est neuf.  Je poursuis mon chemin. Demain, comme tous les jours d’ici ou d’ailleurs, sur ce versant ou sur l’autre, est désormais mon jour de naissance. »  Christiane Singer (2007), "Derniers fragments d’un long voyage", Albin Michel, Paris, Mars 2007. and Pierre tombale en Savoie. 

samedi 24 août 2013

Felicità

Soudain l'Histoire fondit sur moi, j'eclatai: je me retrouvais éparpillée aux quatre coins de la terre, liée par toutes mes fibres à chacun et à tous. Idées, valeurs, tout fut bousculé; le bonheur même perdit de son importance. En septembre 1939, je notai : "Pour moi, le bonheur était avant tout une manière privilégiée de saisir le monde; si le monde change au point de ne plus pouvoir être saisi de cette façon, le bonheur n'a plus tant de prix." 
 Et de nouveau en janvier 1941, j'écrivais : "Que mon ancienne idée du bonheur me paraît courte ! Elle a dominé dix ans de ma vie. Mais je crois que j'en suis presque totalement sortie." En fait, je n'y échappai jamais tout à fait. Plutôt, je cessais de concevoir ma vie comme une entreprise autonome et fermée sur soi; il me fallut découvrir à neuf mes rapports avec un univers dont je ne reconnaissais plus le visage. C'est cette transformation que je vais raconter. " 
Simone de Beauvoir, La force de l'âge, Gallimard, Paris, 1960. and Marc Chagall, Rêverie.

dimanche 9 juin 2013

Reanimazione

 "Très chère brute de mâle. Je suis contente  que nous ayons une maison, contente que vous ayez choisi un chalet - je l'espérais. D'accord pour n'aller ni à Médénine ni au Guatemala ni à Cuba; rester chez nous me plaira, me baigner, travailler et surtout vous voir travailler, ce qui ne m'a jamais été accordé. Vraiment vous travaillerez ? Vous êtes sûr que vous pourrez ? J'ai un tas de questions à vous poser, s'il vous plaît, pour une fois, répondez. A quoi ressemble exactement cette maison ?
Pouvez-vous m'en dessiner un petit plan ? Quel genre de campagne l'environne-t-elle ? Et la plage ? L'eau est-elle salée ?  L'endroit est-il très peuplé ou isolé ? Qui cuisinera ? Et puis, combien de robes du soir dois-je amener, pour les nuits où vous endosserez votre smoking ? 
Dois-je acheter une rivière de diamants, ou un collier de perles ? Essayez de me donner une idée générale de la vie que je mènerais durant des semaines et des mois en compagnie détestable brute de mâle !
Pour vous avouer la vérité, j'admets parfaitement que l'égalité des sexes ne soit qu'un mythe, je ne l'ai jamais vraiment pensé que vous étiez mon égal et je ne l'ai affirmé que par simple politesse. Voilà comment m'apparaît la situation : tout au long de cet "été" à   venir, quand je serai avec vous, vous serez avec moi ..."
 Simone de Beauvoir (1950), "Lettres à Nelson Algreen, mardi 23 mai, Folio, Paris. and "Le Luxembourg et ses fontaines."

dimanche 17 mars 2013

Stupidaggine

"Très aimé. Ah, c'est trop commode ! Vous restez confortablement dans votre nid de Wabansia à écrire votre livre et à manger du cake au rhum, en vous contentant de jeter de temps à autre un coup d'oeil vers le coin de la rue pour voir si mon taxi arrive. Tandis que moi ! J'ai perdu une matinée à l'ambassade américaine à me tacher les doigts d'encre au bureau des empreintes et à répondre à des questions indiscrètes sur père, mère, et sur ce que je compte fabriquer aux USA. Je vous le demande, pourquoi y vais-je ? Que pouvais-je répondre ? "Des conférences", ai-je dit. Pour n'avoir pas menti, il faudra que je vous en fasse ...
En vérité chéri, c'est très mal, vous m'avez aimée en partie parce que, lorsque vous m'avez rencontrée, j'étais une femme sage. Or depuis que je vous aime, j'ai perdu toute sagesse, je suis devenue aussi sotte qu'une autre. Avant je me souciais peu de mon visage ou de mon allure, maintenant je voudrais vous amener sur le Mississipi une belle amie, bien portante, jeune, élégante, fraîche. Prenez-moi telle que je serai de toute façon. Mon chéri, je vous aime le plus sottement du monde, ces jours-ci." 
Simone de Beauvoir ( 1948), Lettres à Nelson Algren, le 17 mars. and Riflessi a Venezia.

jeudi 14 mars 2013

Anima

"Le monde appartient à ceux qui ne ressentent rien. La condition essentielle pour être un homme pratique, c'est l'absence de sensibilité. La qualité principale, dans la conduite de la vie, est celle qui mène à l'action, c'est-à-dire la volonté. Or, il est deux choses qui entravent l'action : la sensibilité et la pensée analytique, qui n'est elle-même rien d'autre, en fin de compte, qu'une pensée douée de sensibilité. 
                                   
Toute action, par nature, est la projection de notre personnalité sur le monde extérieur, et comme celui-ci est constitué, pour sa plus grande partie, d'êtres humains, il s'ensuit que cette projection de notre personnalité revient, pour l'essentiel, à nous mettre en travers du chemin de quelqu'un d'autre, à gêner, blesser, et écraser les autres, par notre façon d'agir. Pour agir, il faut donc que nous ne puissions pas nous représenter aisément la personnalité des autres, leurs joies ou leurs souffrances. Si l'on sympathise, on s'arrête net. L'homme d'action considère le monde extérieur comme formé exclusivement de matière inerte - soit inerte en elle-même, comme une pierre sur laquelle il passe, ou qu'il écarte de son chemin ; soit inerte comme un être humain qui, n'ayant pas su lui résister, peut être un homme tout aussi bien qu'une pierre, car il le traite de la même façon : il l'écarte du pied, ou il lui passe dessus.
Fernando Pessoa (1888-1935), Le livre de l'intranquilité. and Il lupo di Romulus e Remus, Campidoglio, Roma. 

mardi 26 février 2013

La parola

J’ai la beauté facile et c’est heureux.
Je glisse sur les toits des vents
Je glisse sur le toit des mers
Je suis devenue sentimentale
Je ne connais plus le conducteur
Je ne bouge plus soie sur les glaces
Je suis malade fleurs et cailloux
J’aime le plus chinois aux nues
J’aime la plus nue aux écarts d’oiseau
Je suis vieille mais ici je suis belle
Et l’ombre qui descend des fenêtres profondes
Epargne chaque soir le coeur noir de mes yeux.
Paul Eluard (1923), Capitale de la douleur. and San Clemente, Chiesa del IV° secolo.

dimanche 10 février 2013

Disperando

" S'il vous plait, Nelson, essayez de sentir, de connaître l'intensité de mon amour. Je souhaite ardemment vous donner quelque chose qui vous rende heureux, qui vous fasse rire. Je vous veux et je veux que vous le sachiez. Que vous sachiez combien merveilleux et beau vous êtes dans mon cœur, et que ça vous fasse plaisir. Vous m'avez donné bonheur et amour, jeunesse et vie. 
Pour vous remercier suffisamment il me faudrait être heureuse, aimante, belle, jeune et vivante pendant dix mille ans. Et tout ce que je peux faire c'est pleurer dans ma lointaine chambre ... Oh dieu, en voilà du propre ! Oubliez tout si ça vous offense, c'est sûrement la plus bête lettre que je vous aie jamais écrite. Mon cœur souffre ce soir, il souffre, je ne dormirais pas. Après tout rien dans ces lignes n'est insultant, n'est-ce pas ? Nelson, Nelson."
Simone de Bauvoir (1948), Lettres à Nelson Algren, 10 mai 1950, Gallimard, Paris, 1997. and le col de Verroux (956 m), Menton.