dimanche 20 octobre 2013

Rivolta

"Le fameux discours de Saint-Just ... Si un contrat naturel ou civil, pouvait encore lier le roi et son peuple, il y aurait obligation mutuelle; la volonté du peuple ne pourrait s'ériger en juge absolu pour prononcer le jugement absolu. Il s'agit donc de démontrer qu'aucun rapport ne lie le peuple et le roi. Pour prouver que le peuple est en lui-même la vérité éternelle, il faut montrer que la royauté est en elle même crime éternel. Saint-Just pose donc en axiome que tout roi est rebelle ou usurpateur. Il est rebelle contre le peuple dont il usurpe la souveraineté absolue. La monarchie n'est point un roi, "elle est le crime". Non pas un crime mais le crime, dit Saint-Just, c'est à dire la profanation absolue. C'est le sens précis et extrême en même temps, du mot de Saint-Just dont on a trop étendu la signification :"Nul ne peut régner innocemment".   
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Tout roi est coupable et par le fait même qu'un homme se veut roi, le voilà voué à la mort. Saint-Just dit exactement la même chose lorsqu'il démontre ensuite que la souveraineté du peuple est "chose sacrée".  Les citoyens sont entre eux inviolables et sacrés et ne peuvent se contraindre que par la loi, expression de leur volonté commune ... Quand tous pardonneraient la volonté générale ne le peut pas. Le peuple même ne peut effacer le crime de la tyrannie. La victime en droit, ne peut-elle retirer sa plainte ... Le crime du roi est en même temps péché contre l'ordre suprême. Un crime se commet puis se pardonne, se punit ou s'oublie. Mais le crime de royauté est permanent, il est lié à la personne du roi, à son existence. Le Christ lui même, s'il peut pardonner aux coupables, ne peut absoudre les faux dieux. Ils doivent disparaître ou vaincre. Le peuple, s'il pardonne aujourd'hui, retrouvera demain le crime intact, même si le criminel dort dans la paix des prisons. Il n'y a donc qu'une seule issue : Venger le meurtre du peuple par la mort du roi". 
Albert Camus (1951), L'homme révolté, Gallimard. and Gustav-Adolf Mossa (1844-1926),   Pierrot s'en va, in Carnaval of Nice.