vendredi 16 mars 2012

Accetare

"Ma patience porte ses fruits; je souffre moins; la vie redevient presque douce ...
L'avenir du monde ne m'inquiète plus; je ne m'efforce plus de calculer, avec angoisse, la durée plus ou moins longue de la paix romaine; je laisse faire aux dieux. Ce n'est pas que j'aie acquis plus de confiance en leur justice, qui n'est pas la notre, ou plus de foi en la sagesse de l'homme; le contraire est vrai. La vie est atroce; nous savons cela.
Mais précisément parce que j'attends peu de choses de la condition humaine, les périodes de bonheur, les progrès partiels, les efforts de recommencement et de continuité me semblent autant de prodiges qui compensent presque l'immense masse des maux, des échecs, de l'incurie et de l'erreur. Les catastrophes et les ruines viendront; le désordre triomphera, mais de temps en temps l'ordre aussi. La paix s'installera de nouveau entre deux périodes de guerre; les mots de liberté, d'humanité, de justice retrouveront ça et la le sens que nous avons tenté de leur donner. Nos livres ne périront pas tous ... J'accepte avec calme ces vicissitudes de Rome éternelle." Marguerite Yourcenar (1951), Mémoires d'Hadrien, Gallimard, Paris, 1971. and Villa Borghese, Roma.

samedi 10 mars 2012

Mio amore

" Nelson mon amour, Vous croyez habiter Chicago, pas du tout, vous habitez cette maison. Hier le "bon pigeon de La Poueze" à apporte votre dernière lettre, une sorte de fumée en émanait qui a grandi, grandi, a pris forme, c'était vous et je ne vous ai plus lâché. Nous avons revécu tout ce que nous avons vécu ensemble: à la Petite Italie nous avons bu du chianti, visité la prison du comte, admiré la sorcière d'Endor, écouté des disques, mangé du gâteau au rhum, bu du whisky, erré dans des rues oubliées.
"Je n'aurai pas pu ne pas vous rencontrer", avez-vous dit, et aussi "Personne ne vous prendra à moi", "Vous m'avez rendu très heureux". Si deux lettres vous ressuscitent en chair et en os, que sera-ce quand je vous toucherai ? Je n'ouvre pas souvent, pour ne pas les gâcher, le coffre de haute sécurité ou je conserve les mots, les regards, les sourires, les baisers qui m'ont touchés au coeur, mais aujourd'hui je l'ai ouvert, j'ai serré contre moi tous mes trésors, c'était doux de vous sentir si proche tout le jour, mon amour." Simone de Beauvoir (1947), Lettres à Nelson Algren, Jeudi 11 decembre 1947, Folio, 1997. and Mas en Provence.

vendredi 9 mars 2012

Novella strana

"Une des histoires les plus touchantes de Balzac est, je crois, intitulée : "Ce que l'amour coûte aux vieillards" : on pourrait encore en écrire beaucoup sous ce titre-là. Mais les gens âgés, qui connaissent le fond des choses, n'aiment à parler que de leurs succès et non pas de leur faiblesses. Ils craignent d'être ridicules, dans des affaires qui pourtant ne sont, en quelque sorte que l'oscillation de l'éternité.
Peut-on croire réellement à l'intervention du hasard dans le fait que précisément "sont perdus" les chapitres des "Mémoires" de Casanova ou il est question de sa vieillesse, ou le coq devient cocu et le trompeur trompé" ? C'est peut-être simplement que sa main était devenue trop lourde et son cœur trop étroit. Il me tendit la main, sa voix était maintenant de nouveau tout à fait calme, bien assurée, et sans émotion. - Bonne nuit, fit-il. Je vois qu'il est dangereux de raconter aux jeunes gens des histoires pendant les nuits d'été. Cela donne facilement de folles pensées et toutes sortes de rêves inutiles. Bonne nuit." Stefan Zweig (1931), Le jeu dangereux, Première édition, Attinger, Paris. and L'hermaphrodite endormi, Musée du Louvre Paris, Galleria Borghese Roma.