lundi 4 juillet 2011

Disturbed books

"Aie ! Ils s'écartèrent. - C'est votre façon à vous de faire la conversation ? ironisa la dame. "Eh ! se dit précipitamment Amadeo, cette manière ne lui convient pas, donc trève de conversation, et je lis mon livre"; et déjà, il s'était jeté sur le paragraphe suivant. Cependant, il essayait de se mentir à lui-même: il n'était pas sans comprendre que, désormais, les choses étaient allées trop loin, qu'entre la baigneuse et lui une tension était née, qui ne pouvait plus être rompue; il comprenait également qu'il était le premier à ne point vouloir la rompre, étant donné qu'à présent il ne se sentait plus capable de retourner à la seule tension de la lecture, toute de repliement, d'intériorité. Ce qu'en revanche il pouvait chercher, c'était que la tension extérieure suivît, pour ainsi dire, un cours parallèle à l'autre : par ce biais, il n'aurait à sacrifier ni la dame ni le livre.Comme la dame s'était assise, le dos appuyé contre un pan de rocher, Amadeo vint s'asseoir près d'elle, lui passa un bras autour des épaules, gardant le livre ouvert sur ses genoux. Il se tourna vers elle, lui donna un baiser. Ils s'écartèrent, échangèrent un second baiser. Puis Amadeo baissa la tête et reprit sa lecture. Il entendait la poursuivre aussi longtemps qu'il le pourrait, cette lecture. Sa grande crainte était de ne pouvoir achever son roman: se lancer dans une aventure de plage, cela signifierait sans nul doute la fin de ces calmes heures de solitude, un rythme de vie différent qui boulverserait ses journées de vacances; or chacun sait que lorsqu'on est plongé à fond dans un livre, l'abandonner puis le reprendre, c'est perdre une bonne part du plaisir, on a oublié quantité de détails et l'acces devient plus difficile. " Italo Calvino (1949), L'aventure d'un lecteur, in "Aventures", trad. fr., Ed. du Seuil, 1969. and Porquerolles, Isola Mediterraneana