mardi 15 mars 2011

Eternity

"Il avait l'air au-dessus de tout, il avait l'air intouchable. Lui et sa musique: le reste ça ne comptait pas. "Tu ne dois pas t'imaginer que je suis malheureux : je ne le serai plus jamais." Ca m'en a laissé baba, cette phrase. Il n'avait pas l'air du gars qui plaisante, en disant ça. L'air de celui qui sait très bien où il va. Et qui y arrivera. C'était comme quand il s'asseyait au piano et qu'il commençait à jouer. Aucune hésitation dans ses mains. Ces notes, les touches semblaient les attendre depuis toujours, comme si elles n'avaient existé que pour ces notes là, et uniquement pour elles. On avait l'impression qu'il inventait dans l'instant: mais ces notes, quelque part dans sa tête, elles étaient écrites depuis toujours. Je sais maintenant que ce jour là Novecento avait décidé qu'il allait s'asseoir devant les touches blanches et noires de sa vie, et commencer à jouer une musique, absurbe et géniale, compliquée mais superbe, la plus grande de toutes. Et danser sur cette musique ce qu'il lui resterait d'années. Et ne plus jamais être malheureux." Alessandro Baricco (1994), Novecento:pianiste, Un monologue, trad. fr., Folio, Paris, 2006. and Brigitte Engerer au piano, 2009.