mercredi 3 février 2010

All the while

"Rainer partagea entièrement la vie très modeste que nous menions à la lisière de la forêt de Schmargendorf, près de Berlin; cette forêt nous menait en quelques minutes en direction de Paulsborn, et nous passions devant des chevreuils familiers qui flairaient les poches de nos manteaux pendant que nous nous promenions pieds nus, ce que mon mari nous avait appris.Dans le petit appartement où la cuisine était, en dehors de la bibliothèque de mon mari, la seule pièce pouvant faire office de salon, il n'était pas rare que Rainer m'assista quand je faisais la cuisine, en particulier quand il y avait son plat préféré, du gruau à la russe ou du bortsch; il perdit complétement ce coté enfant gaté qui le faisait souffrir autrefois des moindres restrictions, et se plaindre du peu d'argent qu'il recevait chaque mois. Vêtu de sa tunique russe bleue avec sa fermeture rouge sur l'épaule, il m'aidait à fendre du bois ou à essueyer la vaisselle, ce qui nous empêchait pas de parler de nos diverses études. Elles avaient trait à maints domaines; mais ce qu'il étudiait avec le plus d'ardeur - lui qui était plongé depuis longtemps dans la littérature russe - c'étaient la langue et la civilisation russes, depuis que nous avions sérieusement l'intention de faire un grand voyage dans ce pays. ... Finalement nous allâmes tous les trois, vers Pâques 1899, à Saint Pétersbourg dans ma famille, et à Moscou; c'est seulement un an plus tard que Rainer et moi parcourûmes la Russie plus à fond."
Lou Andreas Salomé, "Ma vie, esquisse de quelques souvenirs", Puf, 1979. trad. du "Lebensruckblick", Insel Verlag, Frankfurt am Main, 1968. and Egon Schiele, Quatre arbres.