dimanche 20 juin 2010

Waltz

"Quelqu'un qui aime tant Rodin , dit-il à la fin, devrait faire sa connaissance. Demain je serai à son atelier. Si cela te convient je t'emmène."
Si cela me convenait ! De joie je ne pus dormir. Mais chez Rodin, mon discours se figea. Je ne fus même pas capable de lui adresser la parole et demeurai, parmi ses statues, pareil à l'une d'entre elles. Mon embaras sembla lui plaire, car le vieillard me demanda, comme nous prenions congé, si je ne voulais pas voir son véritable atelier à Meudon, et il m'invita même à déjeuner. J'avais reçu ma première leçon : c'est que les plus grands hommes sont toujours les plus affables. La seconde fût qu'ils sont presque toujours les plus simples dans leur genre de vie. Chez cet homme dont la goire remplissait le monde, dont les oeuvres étaient présentes trait pour trait à notre génération comme les plus proches amis, on mangeait aussi simplement que chez un paysan de moyenne aisance: une bonne viande nourrissante, quelques olives, des fruits en abondance, avec un vigoureux vin de pays. Cela me donna plus de courage; à la fin je parlais de nouveau sans contrainte, comme si ce vieillard et sa femme m'étaient devenus familiers depuis des années." Stephan Sweig (1881-1942), "Le monde d'hier. Souvenirs d'un Européen. Paris la ville de l'éternelle jeunesse", trad. Serge Niémetz, Ed. Belfond. and Auguste Rodin (1840-1917), La Valse.