mardi 13 juillet 2010

Go away

"Maintenant, sûrement, rien de tout cela ne pourrait revenir, car peut-on retrouver ce qu'on a laissé derrière soi en partant ? "Est-ce qu'on retournera ici avec papa, est-ce qu'on s'en va vraiment pour toujours ?" Esther n'avait pas demandé cela, quand après s'être habillée à la hâte, elle avait pris la valise et était sortie de la maison en montant les six marches étroites qui conduisaient jusqu'à la rue. Elles marchaient ensemble dans la rue, vers la place, et Esther n'avait pas osé posé la question. Mais sa mère avait compris; elle avait fait seulement une drôle de grimace, en haussant les épaules, et Esther l'avait vue un peu plus loin qui essuyait ses yeux, son nez, parce qu'elle pleurait. Alors elle s'était mordu la lèvre de toutes ses forces, jusqu'au sang, comme quand elle voulait effacer quelque chose de mal qu'elle avait fait.
Elle n'avait plus regardé personne pour ne pas avoir à lire le malheur dans les yeux, pour qu'on ne sache pas qu'elle y pensait elle aussi. Sur la route de pierres qui montait à travers la forêt, les gens avaient pris leurs distances. Les plus jeunes, les hommes, les jeunes garçons, étaient loin devant, on n'entendait même plus leurs voix quand ils s'interpellaient. Derrière eux s'étirait la longue procession. Bien qu'elles ne marchaient pas vite à cause du poids des valises qui leur brûlait les mains, Esther et sa mère dépassaient d'autres femmes, les vieilles qui trébuchaient sur des cailloux, les femmes qui portaient des bébés dans leurs bras, les vieux Juifs vêtus de leurs caftans trop lourds, appuyés sur des cannes .... Au fur et à mesure qu'elles marchaient, les silouhettes de femmes assises au bord du chemin, devenaient de plus en plus rares. Puis il y eut un moment où Esther et sa mère marchaient complétement seules, sans plus rien entendre que le bruit de leurs propres pas et le fracas doux du ruisseau en contrebas." Le soleil était tout près de la ligne des montagnes, derrière elles. Le ciel était devenu pâle, presque gris et devant elles les nuages lourds étaient massés. Comme elle avait cherché cela depuis un bon moment." Jean Marie Gustave Le Clezio (1992), "Etoile errante", Gallimard, Paris. and Caravaggio (1571-1610), "Taking of Christ".