mardi 24 janvier 2017

Arte e scienza

"Toute nouvelle entreprise de recherche me replonge immédiatement dans cet état d’humiliante précarité mentale. À l’opposé de toutes les images d’Épinal, qui montrent la recherche scientifique comme un archétype de travail méthodique, conquête systématique et contrôlée de l’inconnu, c’est l’errance et la contingence qui y sont la règle. Précisément parce qu’il cherche ce qu’il ne connaît pas, le chercheur ne peut que passer le plus clair de son temps à explorer de fausses pistes, à suivre des intuitions erronées, à se tromper : la plupart des calculs théoriques sont incorrects, la plupart des manipulations expérimentales sont ratées – jusqu’au jour où…
Ainsi, le travail du chercheur professionnel ne ressemble-t-il en rien à celui du bon élève qu’il a sans doute été, et dont il a dû abandonner la trompeuse confiance en soi. Il lui a fallu dépouiller la peau du crack pour endosser celle du cancre : le chercheur, dans sa pratique effective, ressemble beaucoup plus au « mauvais » qu’au « bon » élève. Son seul avantage sur les laissés-pour-compte de la science scolaire est qu’il sait la nécessité et l’inéluctabilité de cette longue traversée de l’erreur, de cette confrontation avec les limites de sa propre intelligence. Pourquoi donc, à l’école, ne présentons-nous pas ainsi la science, telle qu’elle se fait ? Les élèves les plus en difficulté n’y trouveraient-ils pas quelque réconfort mental ?"
Jean-Marc Levy-Leblond (2013/3), Impasciences, Journal français de psychiatrie, n°18. and Michelangelo Merisi da Caravaggio, Les musiciens.