lundi 28 septembre 2009

Robinson

"Il avait enlevé ses vêtements, et il s'était laissé glisser dans la boue fraîche, en ne laissant passer à la surface que son nez, ses yeux et sa Justifierbouche. Il passait des journées entières, couché ainsi au milieu des lentilles d'eau, des nénuphars et des oeufs de grenouilles. Les gaz qui se dégageaient de l'eau croupie lui troublaient l'esprit.

Parfois il se croyait encore dans sa famille à York, il entendait les voix de sa femme et de ses enfants. Ou bien il s'imaginait être un petit bébé dans un berceau, et il prenait les arbres que le vent agitait au-dessus de sa tête pour des grandes personnes penchées sur lui. Quand il s'arrachait le soir à sa boue tiède, la tête lui tournait. Il ne pouvait plus marcher qu'à quattres pattes, et il mangait n'importe quoi le nez au sol ... Un jour qu'il bouffait une touffe de cresson dans une mare, il crut entendre de la musique. C'était comme une symphonie du ciel, des voix d'anges accompagnées par des accords de harpe. Robinson pensa qu'il était mort et qu'il entendait la musique du paradis. Mais en levant les yeux il vit pointer une voile blanche à l'est de l'horizon." Michel Tournier, Vendredi ou Les limbes du Pacifique, Ed. Flammarion, 1971. and Niki de Saint Phalle, Introspections and ... Musée d'Art Moderne et d'Art Contemporain - Nice, 13.09.09.