mardi 21 juillet 2009

Outdoor

Cher Monsieur,
Après avoir enfin trouvé ici un peu de repos, je me souviens que je vous dois tous mes remerciements pour le beau livre° que j'y ai trouvé et que j'ai encore lu dans la bousculade des deux premières semaines, et lu avec un plaisir immense, car sinon je n'éprouverais pas le besoin de vous écrire à ce propos. La perfection de l'intuition associée à la maitrise de l'expression laissent le sentiment d'une rare satisfaction. Ce qui m'a surtout intéressé, ce sont les procédés d'accumulation et d'intensification grâce auxquels votre phrase s'approche toujours plus près et comme à tâtons de l'être le plus intime de ce que vous décrivez. C'est comme l'accumulation des symboles dans le rêve, qui laissent transparaître de plus en plus nettement ce qui est voilé.
S'il m'était permis de mesurer votre présentation à l'aune la plus sévère, je dirais que vous êtes venu entièrment à bout de Balzac et de Dickens. Mais ceci n'est pas trop difficile, ce sont des types simples, carrés. En revanche, avec ce Russe embrouillé, cela ne pouvait pas se passer de façon aussi satisfaisante. Là on sent des manques, ainsi que des enigmes qui n'ont pas été résolues. Permettez moi de vous soumetre quelques matériaux à ce propos, tout comme ils se présentent à mon point de vue d'amateur. La psychopathologie, dans laquelle Dostoïevski reste immergé, peut aussi avoir ici un temps d'avance." S. Freud à S. Zweig, Correspondance, 19. 10. 1920, Vienne. and Balzac, at the Musee Rodin Paris France
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° Drei Meister (Trois Maîtres), Balzac-Dickens-Dostoïevski, parait à Leipzig en 1920. L'exemplaire de la bibliothèque privée de Freud à Londres porte la dédicace : "A Monsieur le Professeur Sigmund Freud, au Grand Guide dans l'inconscient, avec l'admiration toujours renouvelée, Stefan Zweig, Salzbourg 1920."